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Le 3ème degré de l’initiation mithriaque :

« miles », le soldat

Mithra cavalier

L’initiation mithriaque comporte sept degrés : le corbeau, le fiancé, le soldat, le lion, le perse, le courrier du soleil et le père. Le 3ème grade, en latin le miles, le soldat, est donc un grade chevaleresque et, de ce fait, se situe dans la lignée des traditions qui associent, comme l’Ordre du Temple le fera en son temps, le religieux et le militaire.

On a tendance à conserver pour ce grade le nom latin, miles, dans la mesure où le français soldat est si fortement connoté que cela nuit à la compréhension de la nature même de cette initiation. Miles, c’est certes le soldat, le guerrier, mais dans le sens le plus général qui intègre tous les niveaux de l’être. C’est celui qui a intégré la rigueur, la discipline, la maîtrise de soi, toutes conditions qui sont nécessaires pour parvenir à cette vertu que nous appellerons du terme beaucoup approprié de chevalerie.

Au 3ème degré de l’initiation mithriaque, l’initiable se trouve face à la dernière épreuve du cycle préparatoire. Il s’agit pour lui de trouver l’équilibre, de pacifier et de se pacifier. Mithra est par excellence le dieu des contrats. Il est celui qui va amener l’initiable, par tous les contrats qu’il va faire avec lui-même, avec le monde autour de lui, dans toutes les circonstances, à devenir plus qu’un facteur d’équilibre, un véritable contrat à lui seul, une alliance perpétuelle qui va permettre à l’alpha et à l’oméga d’être toujours en équilibre sans que jamais il n’y ait chute d’un côté ou de l’autre, dans une parfaite compréhension, une parfaite acceptation, une parfaite intégration.

L’onction du miel

Nul ne sait ce qui se passait vraiment pendant cette initiation, dans quelles conditions elle s’opérait ni combien de temps elle pouvait durer, mais on peut imaginer que celui qui l’avait vécue en ressortait animé d’une énergie renouvelée. On ne connaît guère de ce rite que l’onction du miel, comme si le miles devait travailler à devenir, comme l’abeille, cet insecte efficace capable d’aller de chaque fleur extraire ce qui est important pour le rapporter et en faire un aliment. Le miel issu du travail de l’abeille nourrit en soi ce qui fait aller le monde, la reine, celle qui ne travaille pas, celle qui ne sort pas, celle qu’on ne voit jamais mais sans laquelle la ruche ne fonctionne pas et n’a pas de raison d’être. Ce miel, on le trouve dans des rayons, bien rangé, bien calibré, alors qu’il provient des fleurs les plus diverses. Ainsi pourront s’exprimer, dans tous les sens de ce terme, toutes les vertus du miel, qui sont immenses et multiples dans tous ses états.

Le miles est celui qui, comme les ouvrières, va apprendre à travailler, à travailler vrai, à travailler juste, dans une communauté parfaite. Il y a quelque chose à faire et ce quelque chose nourrit la vie, la sienne et celle des autres, parce qu’on ne vit pas tout seul. Les abeilles, comme les fourmis, agissent en tout comme une armée modèle au sein de laquelle chacun agit dans une parfaite cohérence avec l’ensemble, garante de l’efficacité. Que promettait-on d’autre en prêtant les serments demandés lors de l’admission dans l’Ordre du Temple ? Que disait-on d’autre dans la Règle, lorsqu’on stipulait, par exemple, que nul jamais ne devait " poindre sans congé " ?

De la couronne de Mithra à la fourragère

Un autre élément significatif a été rapporté sur cette initiation au grade de miles. L’initiateur présentait une couronne à l’initiable, sur la pointe de son épée. Celui-ci devait repousser la lame de manière à faire glisser la couronne sur son bras jusqu’à son épaule, en disant : « Mithra est ma couronne. » On a vu dans ce geste symbolique l’origine de la fourragère créée en 1916 que portent aujourd’hui encore certains soldats. Une circulaire du 22 février 1918 stipule en effet ceci : " Il est créé un insigne spécial destiné à rappeler d'une façon apparente et permanente les actions d'éclat de certains régiments et unités formant corps cités à l'ordre de l'armée. Cet insigne sera constitué par une fourragère attachée au bord de l'épaule gauche, et en tenue de sortie, boutonnée au 2ème bouton de la capote ; en tenue de campagne, faisant le tour du bras et agrafé sur l'épaule. " Détail essentiel : la fourragère est une récompense collective et définitive, et son attribution donne lieu à une cérémonie militaire particulière précédée d’une épreuve elle aussi collective, la " marche de la fourragère ", qui se termine, chaque fois que c’est possible, sur le lieu où le corps s’est illustré. On ne peut que s’émerveiller de la persistance des traditions.

chrisme

On a dit que les fourragères militaires avaient pour origine la " corde à fourrage(s) " que portaient autrefois les dragons autrichiens autour de l’épaule gauche et qui était en réalité destinée à maintenir les coiffures des cavaliers. Elle fut dévolue sous l’Empire aux hussards (couleur jaune) et aux artilleurs (couleur rouge) jusqu’à sa suppression en 1870. Cette corde à fourrage(s) était en chanvre et nouée de gros nœuds aux extrémités. Que signifie cette relation avec le fourrage ? Au Moyen-Age, four(r)age désignait l’action d’entourer un cordage ou un câble d’un revêtement protecteur. De là vient peut-être le tressage qui caractérise la fourragère. Le fourrage était aussi la mission de certains officiers chargé de l’intendance, entre autres le transport du foin destiné à la cavalerie. " Aller au fourrage ", pour une armée en campagne, se faisait en visitant tous les endroits susceptibles d’en receler. Il fallait pour cela se répartir la tâche et donc œuvrer en ordre dispersé. Le sens moderne, péjoratif, du verbe fourrager trouve son origine dans ce comportement brutal et désorganisateur.

D’un point de vue symbolique, le port de la fourragère rappelle par bien des aspects l’initiation mithriaque et la spiritualité templière. Le tressage souligne avec éloquence l’intrication des actions individuelles dans la démarche collective et le fait que la décoration soit accordée, non à titre individuel, mais pour les hauts faits du corps auquel l’individu appartient, n’est pas sans rappeler le devoir d’impersonnalité présent dans la devise même de l’Ordre du Temple : " Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ". Comme les fourrageurs, les Templiers agissaient chacun où ils se trouvaient pour rapporter de quoi nourrir l’Ordre. Dispersés dans toute l’Europe, ils œuvraient tous pour la même cause : assurer la vie de l’Ordre là où se faisaient les combats, afin de le maintenir à chaque instant en état d’assumer sa mission.

L’épreuve de la marche

On a beaucoup épilogué sur l’initiation au grade de miles, et ceci dès l’Antiquité. On doit cela essentiellement aux Pères de l’Eglise qui n’avaient de cesse que de trouver des moyens de déconsidérer cette spiritualité qui se trouvait en rivalité avec le christianisme. On a tout imaginé : qu’ils avaient des parcours effrayants à effectuer, marchant dans les ténèbres pendant des kilomètres, des jours et des jours, dans les conditions les plus dures ; qu’ils étaient astreints à des jeûnes interminables mettant en danger leur vie ; qu’ils devaient nager sur des distances incroyables, affronter la faim, la soif, le froid. Certes l’initiation comportait sans doute, parce qu’elle concernait les vertus du soldat, l’apprentissage de la maîtrise de soi. Pourtant, il suffit de se rendre sur les lieux de n’importe quel ancien mithraeum pour comprendre que tout ce qu’on raconte ne repose sur rien à moins d’imaginer des mises en scène impossibles à réaliser dans les faits. Les épreuves de l’initiation au 3ème degré du mithraïsme étaient de toute évidence, symboliques, comme de nos jours la marche de la fourragère.

On a retrouvé dans la seule ville d’Ostie, à quelques kilomètres de Rome, une quinzaine de mithrea. L’un d’eux, celui de Felicissimus, est particulièrement remarquable. D’une taille étonnamment petite, il ne pouvait guère contenir plus d’une douzaine de personnes et ne se prêtait pas, par sa configuration toute simple, à des rites compliqués. Comme la plupart des mithrea, ce temple a bénéficié d’une belle ornementation grâce à la générosité de ses fidèles. Le sol en a été ainsi entièrement pavé d’une mosaïque aux tesselles blanches et noires. Ce type de pavement était assez banal et ne retiendrait pas notre attention si les figures ainsi dessinées en noir sur blanc ne représentaient une sorte d’échelle à sept degrés. Les sept grades de l’initiation mithriaque se trouvent évoqués par quelques éléments placés chaque fois dans les intervalles blancs entre les barreaux de l’échelle. Le troisième niveau, qui équivaut donc au troisième degré de l’initiation, celle du miles, comporte trois éléments : une pointe de lance ou une flèche, un casque et un sac de soldat, une besace.

Mithreum de Felicissimus à Ostie

Le soldat a cette particularité d’être toujours en marche et, quand il ne marche pas, d’être prêt à se remettre en marche. Il ne reste jamais statique ou, s’il le fait, c’est sur ordre, pour les besoins de la cause. Il ira sans murmurer où les nécessités du service lui commandent d’aller, car le soldat est « au service », toujours prêt à se mettre en marche comme à ne pas se mettre en marche, même s’il en a envie, parce que, tout simplement, ce sont les ordres. Ainsi lit-on dans le rituel de réception dans l’Ordre du Temple : " Car à grand-peine vous ne ferez jamais la chose que vous voudrez : car si vous voulez être dans la terre en deçà des mers, on vous enverra au delà ; ou si vous voulez être à Acre, on vous enverra dans la terre de Tripoli, ou d'Antioche ou d'Arménie ; ou l'on vous enverra en Pouille, Sicile, ou en Lombardie, ou en France, ou en Bourgogne, ou en Angleterre, ou en plusieurs autres terres où nous avons des maisons et des possessions. Et si vous voulez dormir, on vous fera veiller ; et si vous voulez quelquefois veiller, on vous commandera que vous alliez reposer en votre lit. "

Le soldat, parce qu’il acquiert la maîtrise de soi, a pour emblème le casque du soldat qui symbolise la maîtrise de la pensée en tant que siège de la volonté. A la cime du casque flotte le plumet, qui rappelle le voile du nymphus, le fiancé, degré qui précédait celui du miles, et qui annonce la crinière du lion, le degré suivant de l’initiation mithriaque. Fluidité dans la rigueur, délicatesse dans la puissance, le plumet du miles, comme le manteau flottant de Mithra, comme le Baucéant de l’Ordre et la cape des chevaliers du Temple, rappelle que l’action doit en toute chose se laisser modeler par le souffle de l’Esprit.

Le bissac ou besace pourrait tout aussi bien être l’emblème du fourrageur, responsable de l’intendance de l’armée en campagne. Pour vaincre ou tout simplement pour accomplir sa mission, il faut se tenir en état de le faire. Cela signifie la nécessité de rassembler tout ce qui peut concourir à la nourriture du corps, de l’esprit, de l’âme, que ce soit pour l’individu ou pour l’Ordre ou le régiment. Se disperser pour rassembler, faire de chaque chose qu’on engrange une nourriture, les mots d’ordre militaires sont bien proches des mots d’ordre de la Tradition.

La pointe de lance ou flèche montre l’élan qui induit la marche, souligne et soutient la direction à suivre, désigne le but à atteindre. C’est l’emblème d’Artemis la Vierge qui est aussi la Grande Mère d’Ephèse, pareille à Notre-Dame " qui est au commencement et sera, si Dieu plaît, à la fin " de l’Ordre du Temple. C’est l’emblème de Mithra lorsqu’il fait jaillir du rocher l’eau de la vie.

L’Ordre de Melchisedech

Dans l’Epître aux Hébreux, Saint Paul aborde un sujet très rarement développé dans les Ecritures : Melchisedech. Parlant de l’onction particulière du Christ, il écrit cette phrase apparemment simple : " il est devenu prêtre pour l’éternité dans l’ordre de Melchisedech ". Melchisedech est ce personnage étrange, sans père, sans mère, sans généalogie, prêtre du Très-Haut et roi de Salem c’est-à-dire roi de paix, envoyé par le Seigneur en émissaire auprès d’Abraham qui lui rendit hommage, au sens fort que prendra ce terme au Moyen-Age, en lui présentant " la dîme de tout " sous la forme du pain et du vin.

Melchisedech (Chartres)

L’image est belle et le symbole davantage encore, mais ce qu’on ne voit pas, c’est ce que recouvre ce mot " ordre ". L’Epître, comme toutes les autres, a été écrite en grec, et le mot qui a été employé est taxis. Et taxis est issu d’un vocabulaire très précis, celui de l’armée. C’est le régiment, l’unité militaire telle qu’elle a toujours été sous tous les cieux : organisée, entraînée, équipée. Etre " prêtre selon l’ordre de Melchisedech ", c’est ainsi prendre sa place dans un corps d’armée, se vouer au combat, mais, parce qu’il s’agit de Melchisedech, roi de Salem, s’engager pour la paix et la justice. Le régiment de Melchisedech, c’est une unité de prêtres-soldats, de miles initiés, de moines-chevaliers.

La chevalerie mystique : une tradition

La pérennité de l’initiation mithriaque du 3ème degré trouve sa plus belle expression dans l’écu d’armes du soldat de Dieu par excellence que fut Jeanne d’Arc. Son écu portait en effet une épée sur la lame de laquelle était engagée une couronne exactement de la même façon qu’elle l’était autrefois sur l’épée de l’initiateur dans la cérémonie du miles. Pareille au fidèle de Mithra, Jeanne d'Arc écartait d’un mot la couronne toute prête à ceindre sa tête : " Messire Dieu premier servi ", telle est en effet sa devise, bien proche dans l’esprit de ce qu’était le " Non nobis " des chevaliers du Temple.

armoiries de Jeanne d'Arc

Un chevalier d’élite avait auparavant, dans cette même Terre Sainte qui fut le lieu privilégié de l’action des Templiers, exalté à sa manière l’idéal de la chevalerie mystique en refusant la couronne de Jérusalem que ses pairs lui offraient. Il s’appelait Godefroy de Bouillon, et, parce qu’il avait refusé de ceindre la couronne là où le Christ n’avait pas été reconnu roi, il inscrivit son serment sur ses armes qui sont encore aujourd’hui celles de Jérusalem : des armes " à enquerre ", c’est-à-dire des armes " qui posent question ". Elles enfreignent en effet les lois de l’héraldique qui n’admet pas que l’on pose métal sur métal. D’or sur champ d’argent, elles proclament à la face des hommes la fausseté des valeurs terrestres, du pouvoir, de l’orgueil de se croire l’égal de Dieu. " Quis est ut deus ? ", " qui est comme Dieu ? " demande l’archange Saint Michel au démon qui se tord à ses pieds. Et Saint Michel, comme Mithra, porte la cape flottante et l’épée courte, fort de toute la puissance de sa fragile jeunesse, de sa pureté.

armoiries de Godefroy de Bouillon