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La Commanderie de Beauvais-sur-Matha

La façade de l'église de Beauvais-sur-Matha

Le Pays de Matha est une petite région particulière de Charente-Maritime qui compte aujourd’hui 25 communes parmi lesquelles Beauvais-sur-Matha qui fut jadis le siège d’une commanderie de l’Ordre du Temple. Le mot « matha » tire son origine du vieux fonds pré-indoreuropéen. On le trouve encore aujourd’hui dans le portuguais mata, le bois, mateiro, le garde-forestier. Il existe toujours un bois de Matha, mais l’œuvre de l’homme a largement apprivoisé la terre qui, déjà au Moyen-Age, lui offrait généreusement de quoi le nourrir. Le Pays de Matha reste résolument rural, tourné vers le bois et l’agromalimentaire et, de plus en plus, le tourisme vert. Seule, l’église de Beauvais témoigne encore, silencieusement, de l’exceptionnel passé de la petite ville.

La chapelle du Temple de Beauvais

L'église, placée sous le patronage de Notre-Dame de l'Assomption, est depuis un siècle classée par les Monuments Historiques. La partie proprement templière a été construite au 12ème s. Il n'en reste aujourd'hui que la façade occidentale. Deux siècles plus tard, on a construit une tour-clocher contre le mur nord de l'église dont la flèche a été détruite par la foudre au 18ème s. L'accident a occasionné d'importants dégâts à l'église elle-même qui y a perdu en particulier le pignon triangulaire qui coiffait le portail du 12ème s. Aujourd'hui, la nef, maintes fois réparée, ne laisse plus apercevoir le moindre vestige de la période médiévale, mais le mur ouest, seul souvenir de l'époque du Temple, mérite largement qu'on s'y arrête.

Le portail templier

La façade de l’église de Beauvais était construite à l'origine sur trois registres. Le portail occupe, seul, le centre du registre inférieur ; une haute fenêtre centrale flanquée de deux fenêtres aveugles occupe le niveau médian ; le registre supérieur, qui consistait en un pignon triangulaire, a disparu dans l’écroulement du clocher. Les différents niveaux sont bien séparés par un cordon à modillons qui barre le bâtiment sur toute sa longueur, et qui est lui-même souligné par une séquence de petits corbeaux sculptés malheureusement abîmés par le temps.

Saint-Hilaire de Melle

Il suffit de comparer avec une église de la région, par exemple celle de Saint-Hilaire de Melle, pour constater que le style de la chapelle de la commanderie se situe dans la droite ligne du style roman saintongeais, avec, peut-être, un peu plus de rigueur et de sobriété. Dans l’immense majorité des cas, les églises du Temple sont ainsi construites dans le style de la région où elles se situent et non pas d’après des données fixes qui seraient imposées une fois pour toutes. La seule vraie caractéristique de l’architecture templière, c’est qu’elle s’adapte toujours, justement, au style ambiant.

L’ornementation extérieure est d’une grande sobriété. Les chapiteaux du porche sont sculptés de motifs végétaux, avec un ange de chaque côté du portail. Les voussures sont délicatement ornées d’entrelacs scandés de palmettes.

L'enclos actuel de la Commanderie vu du clocher de l'église

De la nef médiévale, il ne reste rien. De plan rectangulaire avec un chevet plat, elle répondait parfaitement à l’idéal de sobriété de l’Ordre. La longueur de l’ensemble permet de penser que la fréquentation de l’église était dès l’origine très importante. Aujourd’hui, les réparations et reconstructions successives ont défiguré l’intérieur. Les voûtes elles-mêmes ont disparu sous un faux-plafond assez maladroitement exécuté.

Si l’on veut essayer de se représenter ce qu’était la chapelle au temps des Templiers, le mieux est de se tenir à l’entrée de l’esplanade d’où on a une vue d’ensemble sur le pgnon ouest et la tour-clocher, ou encore, si l’on peut, dans l’enclos de la commanderie d’où on voit l’église émerger des feuillages.

L’enclos de la Commanderie

Le domaine de la commanderie est partiellement conservé, amputé seulement de sa moitié est, aujourd’hui en herbage. Deux murs, qui n’existaient pas au temps des Templiers, la traversent actuellement dans toute sa longueur.

La tour-prison

L’entrée actuelle, avec sa double porte, date du temps des Hospitaliers. Le bâitment à gauche, qui est actuellement la demeure des propriétaires, était sans doute le logis des Frères du temps du Temple.

Le mur ouest, à droite de l’entrée, est entièrement flanqué de bâtiments : une charretterie et une grange. La grange dîmière existait déjà à l’époque templière, témoins ces six piliers qui en soutiennent la charpente. Elle fut souvent réaménagée par la suite en fonction des nécessités de défense, et ce dès le 14ème siècle. La Guerre de Cent ans a causé en effet beaucoup de dégâts dans la région. La grange fut ainsi pourvue d’un chemin de ronde intérieur avec des ouvertures pour le guet et le tir d’armes à feu. L’angle sud-ouest présente un large renflement qui correspond à une tour.

Le double portail de l'enclos

La partie sud de l’enclos est beaucoup moins conservée. L’ancien logis des successeurs des Templiers, qui en occupait une bonne part, n’existe plus. On n’en a conservé que l’extrémité est, avec sa tour qui servait de prison, la commanderie ayant droit de justice sur ses terres.

Les autres bâtiments qui occupaient presque la totalité du périmètre de l’enclos ont aujourd’hui disparu.

Plan de l'église de Beauvais

La commanderie possédait naturellement un puits qui se trouvait dans la cour, entre le second logis des frères et la grange. Elle possédait aussi, adossé au mur de la charretterie, un four banal auquel les villageois étaient obligés de venir cuire leurs « pâtes », comme on disait alors, moyennant redevance naturellement.

Saint-Jean d’Acre au début et à la fin de la Commanderie de Beauvais

La donation de Guillaume de Mauzé (1150)

L’Ordre s’est établi à Beauvais-sur-Matha à la faveur d’une donation, comme ce fut généralement le cas pour l’ensemble des commanderies. Celle-ci a cependant un caractère particulier : elle a été conclue à Saint-Jean d’Acre, à la Saint Michel 1150, par un chevalier charentais Guillaume de Mauzé, originaire de la région Rochelaise. Ce dernier, qui dans le civil était revêtu de la haute charge de sénéchal de Poitou, remis entre les mains du frère de Saint-Amand, alors commandeur des chevaliers et futur Grand Maître de l’Ordre, « tout le territoire qui se trouve entre le vieux fossé de Bazelius et la route qui va de Cressec à Broilheraud , et la grande route qui va de Bazeis à Fontaines et une autre grande route qui va de cette route de Bazeis à Aurifoilla , ainsi que tout le droit que j’ai en plaines, prés, bois et seigneurie, et le droit héréditaire que j’ai sur les terres susdites. » Le territoire d’origine s’étendait donc au nord et au nord-est de l’emplacement de l’église et de l’enclos des Templiers.

Quatre ans plus tard, la donation était confirmée par les deux fils de Guillaume de Mauzé, Guillaume et Geoffroy.

La charte de donation

Guillaume, fils de Guillaume de Maussec, porte-clefs, c’est-à-dire sénéchal de Poitou, pour le salut de mon âme et de toute ma famille, et pour le bénéfice et l’honneur que les frères du Temple m’ont montré outre-mer, j’ai donné à Dieu, à la bienheureuse et toujours vierge Marie et à ces mêmes frères du Temple, en perpétuelle aumône, tout le territoire qui se trouve entre le vieux fossé de Bazauges et la route qui va de Cressé à Breuilleraud, et la grande route qui va de Beauvais à Fontaine-Chalendray et une autre grande route qui va de cette route de Beauvais à Orfeuille, ainsi que tout le droit que j’ai en plaines, prés, bois et seigneurie, et le droit héréditaire que j’ai sur les terres susdites. Et ceci fut fait dans la ville d’Acre dans les mains de Saint-Amand, maître des chevaliers du Temple, la veille de la fête de Saint Michel Archange, l’année de l’incarnation du Seigneur 1150. Témoins présents : Guillaume Brun et Aimeric Brunocet, frères, Guillaume Birost et Fromentin.

Et par la suite, ce don a été concédé par mes deux fils, Guillaume de Mausec et Geoffroy, dans la main du frère de Birost, procurateur dudit Ordre ; pour Guillaume de Mausec, témoins présents : Hugues Chabos de l’Ile de Ré, Gaudemal Guillaume de La Jarrie ; pour le susdit Geoffroy de Mausec, témoins Francon, fils de Foulques Mastacii (de Matha), Guillaume Mereville, Aimeric Blanch, Aimeric Bechet et plusieurs autres. Et moi, susdit, à savoir sénéchal de Poitou, j’ai apposé mon sceau sur les présentes en témoignage de ces engagements, la veille de la Saint Jean-Baptiste, l’année du Seigneur 1154.

Le legs de Guillaume Le Court (1295)

Le 27 août 1295, un bourgeois de Beauvais, Guillaume le Court, du consentement de sa femme Osanne Peyroche, fait figurer en bonne place la commanderie dans son long testament. Il fait un don de 100 sols, en particulier, « pour le secours de la Terre Sainte », ce qui paraît surprenant dans la mesure où, suite à la défaite de Saint-Jean d’Acre en 1291, les Francs ne sont plus présents dans les Etats Latins à l’époque du legs.

On a trop souvent dit, en se fiant trop vite aux rumeurs propagées pour les besoins de la cause par les hommes de Philippe le Bel ou en vertu d’une sorte de logique théorique, que la réputation des Templiers avait gravement souffert de la perte de la Terre Sainte et que l’Ordre, au moment de l’arrestation, avait déjà beaucoup périclité. On s’aperçoit cependant, quand on analyse les dépositions du Procès ou à la faveur de donations comme celle qui nous occupe ici, que, non seulement l’Ordre n’avait rien perdu de sa grandeur, mais connaissait un regain de faveur au début du 14ème siècle. Il n’est pour cela que de considérer le nombre de réceptions effectuées dans les dix dernières années. Au début de l’été 1303, le précepteur de Beauvais, Jean de Tours, assistait à la réception groupée de 4 postulants dans la chapelle du Temple d’Auzon en Poitou. Un frère de Beauvais, Arnaudus Breion de Goerta (Arnaud Ebreon des Gours, fut reçu en 1298, neuf ans seulement après son admission dans l’Ordre. On pourrait ainsi multiplier les exemples.

Il est curieux, et d’une certaine façon symbolique, d’observer que le port d’Acre encadre l’histoire de Beauvais. De la période heureuse des victoires à celle de la défaite, Beauvais participe à son humble mesure à la croisade. Les 100 sols de Guillaume Le Court « pour le secours de la Terre Sainte » montrent bien que l’Ordre n’avait pas renoncé à la croisade et que certains notables au moins, en France, croyaient encore à la mission originelle du Temple et lui conservaient leur confiance.

Les frères de Beauvais

Les archives de la commanderie sont peu nombreuses et il n’est guère possible de faire véritablement l’histoire de la commanderie.

Les commandeurs connus sont :

  • 1231 : Elie d’Antirac
  • 1249 : Robert Langlois
  • 1295 : Pierre de Tours
  • 1298/99 : Raymond Robert
  • 1303 : Jean de Tours

On connaît aussi par les dépositions du Procès de Paris deux autres frères dans les derniers temps de l’Ordre :

  • Pierre Thibaud
  • Arnaud Ebreon des Gours

Pierre et Jean de Tours étaient peut-être de la même famille. On rencontre souvent en effet dans les minutes du Procès des frères ou des oncles et des neveux. L’homonymie de leur nom avec celui du trésorier de l’Ordre, Jean de Tours, a donné lieu, comme il fallait s’y attendre, à des confusions, de sorte que, dans le Procès, il est un peu difficile de faire le tri entre ce qui concerne l’un et l’autre. Nous possédons fort heureusement la déposition de Pierre de Tours, ce qui limite un peu le flou.

Pierre de Tours avait été admis dans l’Ordre le 25 novembre 1285 à l’âge de 22 ans. La cérémonie avait eu lieu à Fretay, au diocèse de Tours, maison dont il fut par la suite le précepteur. Il fut, dans un premier temps, incarcéré à Chinon, comme le précepteur de La Rochelle, Guillaume de Liège.

Raymond Robert assista en tant que précepteur de Beauvais à une réception à Cahors en 1298 ou 1299. Nous ne possédons pas d’autres renseignements sur lui.

Pierre Thibaud avait été admis dans l’Ordre en 1288 à l’âge de 17 ans, tandis qu’Arnaud Ebreon des Gours le fut dix ans plus tard, mais à 37 ans. Tous deux avaient été reçus à Beauvais même, le premier par Amblard de Vienne, précepteur d’Aquitaine, et le second par Pierre de Madic, précepteur de Poitou.

Le temps des rumeurs : une idole à La Rochelle

Avant sa réception dans l’Ordre, c’est-à-dire avant 1298 ou 99, Arnaud Ebreon des Gours avait vécu une singulière expérience. Un jour, dans une taverne, un de ses oncles lui raconta que le bruit courait que le Temple de La Rochelle recélait une idole que l’on offrait à l’adoration des frères. L’oncle précisa seulement que c’étaient des religieux qui propageaient la rumeur. Arnaud, à 37 ans, n’était pas un naïf. Non seulement il n’a rien compris à cette histoire, mais il y a tellement peu cru qu’il n’a pas même cherché à approfondir la question. Cela, en tout cas, ne l’a pas empêché de demander son admission dans l’Ordre et d’y rester jusqu’à la fin.

L’histoire est intéressante à plus d’un titre. Le travail de sape avait donc commencé dès la fin des années 90 (à tout le moins) et il était relayé par des hommes d’Eglise. Quels étaiet les liens entre l’Eglise et Philippe le Bel ? Alliés dans une commune jalousie envers l’Ordre, sans doute, il n’ont pas hésité à recourir aux moyens les plus bas pour l’affaiblir. La chose, cependant, - et c’est un point en faveur de l’Ordre – ne paraissait guère crédible aux yeux de la population.

Bibliographie

Jean-Marie Auzanneau : A la gloire des Templiers, chevaliers de Dieu XI-XIII s., collection « Insolite Poitou-Charentes » n°3, éd. Le Cercle d’Or, 1980.

Jean-Claude Bonnin : Les Templiers et leurs commanderies en Aunis, Saintonge, Angoumois, 1139-1312, La Rochelle, 1983.

Charles Daras : Les Templiers en Charente, leurs commanderies et leurs chapelles, Société Archéologique et Historique de la Charente, Poitiers, 1981.

Germain Gaborit : La Commanderie de Beauvais-sur-Matha, in Société d'Emulation de la Vendée, Annuaire 1954, 1er Fascicule. Numéro spécial publié avec le concours du Conseil Général de la Vendée et de la ville de La Roche-sur-Yon, La Roche-sur-Yon, H. Potier,1954.

Anne-Marie Legras : Les Commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Saintonge et en Aunis, éd. du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1983.

Liens

sur l’histoire de la région, un site d’une extraordinaire richesse et sans cesse en croissance :
http://www.histoirepassion.eu

sur le pays de Matha :
http://randonneurs-matha.zz.mu/

le site de l’ACCM (Association Culturelle du Canton de Matha)

le site de Brie-sous-Matha :
http://www.briesousmatha.fr

sur les églises romanes de Saintonge et les églises en général, un site incontournable superbement illustré :
http://www.romanes.com