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Que reste-t-il de La Rochelle ?

La cité qui fut pendant deux siècles l’un des grands ports d’embarquement pour la Terre Sainte, dont les deux Ordres militaires, tant le Temple que l’Hôpital, avaient fait une plaque tournante, et dont on s’attendrait, par voie de conséquence, qu’elle ait à cœur d’entretenir et de montrer avec fierté les reliefs de ces deux quartiers qui composaient alors la majeure part de son territoire et couvrent encore une grande partie de la ville ancienne, cette cité de La Rochelle réserve à qui prend l’envie d’arpenter les vieilles rues du quartier du port son content de plaisir et… de perplexité.

Indigence de l'information

Perplexe, on l’est d’abord en préparant sa visite. Un petit tour sur Internet laisse en effet sur une curieuse impression de vide.

Le site institutionnel www.ville-larochelle.fr ne fait aucune mention des Templiers ni des Hospitaliers. Le très beau site intitulé www.larochelle-tourisme.com ne mentionne lui non plus à aucun moment les Templiers ni les Hospitaliers, ni même les Ordres Militaires au sens large. La page « Histoire de La Rochelle » se borne, pour le Moyen-Age, à quelques phrases lapidaires qui font passer du village de pêcheurs originel à la prospère cité marchande du Moyen-Age sans mentionner de quelque manière ceux qui ont permis cette extraordinaire évolution. On se tourne alors vers d’autres rubriques : « Patrimoine à voir », rien. « Sites et monuments à visiter », rien. « Visites guidées », rien. « Les quartiers de La Rochelle » ? Le cœur se met à battre : « Quartier Saint Jean du Pérot ». On clique sur la page. Toujours rien. Comment peut-on parler de ce quartier dont le nom même fut celui de la grande commanderie de l’Hôpital sans même la mentionner ?

La page « Monuments historiques de La Rochelle » du site wikipedia, pourtant abondamment fournie, ne cite les Templiers qu’au détour d’une courte phrase, sans commentaires : « Aux XIIe siècle et XIIIe siècle, les routes des Templiers convergent toutes vers La Rochelle, faisant ainsi de la ville leur port sur l’Atlantique. » Dommage que cette assertion ne repose que sur une hypothèse que rien ne vient confirmer. Il y aurait eu pourtant tellement de choses historiquement incontestables et sans doute plus intéressantes à dire…

La très sérieuse base Mérimée des Monuments Historiques est tout aussi discrète. Sur les quelques 2645 notices consacrées à La Rochelle, une seule a rapport avec les Templiers.

« Cour du Temple : Commanderie fondée dans le 2e quart du 12e siècle (en 1139, Alienor d'Aquitaine confirme la donation de maisons aux templiers), les fondations d'une chapelle de cette époque ont été retrouvées. Une autre chapelle, plus vaste, fut bénie au 13e siècle et, après l'abolition de l'ordre des templiers, en 1314, leurs domaines furent remis aux hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Les guerres de religion causèrent des destructions dans le 3e quart du 16e siècle et, sur l'emplacement de la chapelle ruinée et du cimetière, fut bâtie une halle. En 1670, une autre chapelle fut édifiée, non plus sous le vocable de Notre-Dame, mais sous celui de Saint Jean-Baptiste ; les derniers vestiges de l'édifice disparurent à la fin du 20e siècle. Des fouilles, menées de 1982 à 1985, ont permis de retrouver des bases de murs des deux premières chapelles (sous les maisons qui avaient été édifiées sur l'emplacement de la halle), ainsi que des sarcophages, dalles funéraires et de nombreux objets qui ont rejoints des vestiges romans (dont le couvrement d'une fenêtre et une double souche de cheminée) dans les musées lapidaires de la ville. L'implantation de cette commanderie reste inscrite dans le plan de la ville où l'enclos, au parcellaire nucléaire propre aux établissements de templiers, a résisté au tracé orthogonal des rues. Demeurent encore in situ : la porte en anse de panier séparant les cours du Temple et de la Commanderie et, en remploi, une fenêtre murée à linteau en accolade avec une croix de Malte. »

Est-ce à dire qu’il ne reste aucun vestige digne d’être mentionné ? Est-ce à dire que deux siècles d’histoire sont tombés dans le trou noir de nos faillibles mémoires ?

Pour qui vient flâner dans la vieille ville, rien n’indique la présence des Ordres militaires. Rien sinon quelques noms de rues : cour de la Commanderie, rue des Templiers, esplanade Saint Jean d’Acre. Est-ce à dire que pour savoir que le gisant d’un des commandeurs du Temple se trouve dans une encoignure de la cathédrale Saint Louis, que les fondations, pourtant soigneusement marquées au sol, de l’abside qu’on voit sur la chaussée derrière la cour de la Commanderie sont celles de l’église du Temple, que sur le canal Maubec se trouvaient les moulins du Temple, que la rue des Deux Moulins rappelle ceux de l’Hôpital, que Saint Jean du Perrot était le nom de l’enclos des Hospitaliers, à l’entrée du port, il faut s’être nourri d’abord des quelques livres spécialisés ou de l’imposante somme d’Arcère, l’historien de La Rochelle ?

On se perd en conjecture sur cette apparente volonté d’effacer cette part importante du passé de la ville.

Promenade dans la ville templière

Pour faire comme la grande majorité des touristes, commençons par le port, cette enclave magnifique ponctuée au loin par la Tour de la Chaîne et la Tour Saint Nicolas. Ni l’une ni l’autre n’existait du temps des Templiers. La première fut bâtie à la fin du 14ème s. La seconde quelques décennies plus tôt. Il n’en reste pas moins que la perspective devait être sensiblement la même,vue du quai qui porte aujourd’hui le nom de Duperré.

Dirigeons-nous vers la place Barentin qui se trouve à l’extrémité ouest du quai Duperré. Là se dresse la Grosse Horloge, porte monumentale qui fut construite au 15ème s. et n’existait donc pas, elle non plus, du temps des Templiers. La rue qu’elle enjambe existait, quant à elle, bel et bien, puisque c’est par là qu’on parvient à la commanderie.

En remontant cette petite rue, on trouve rapidement, à droite, la rue du Temple, qui marque la limite sud de l’enclos du Temple de La Rochelle. Mais laissons-là pour l’instant et poursuivons tout droit par la rue du Palais, bordée d’arcades aux lourds piliers de pierre qui confèrent au quartier sa note si particulière.

Vers le milieu de la rue, du côté droit, on voit s’ouvrir une étroite percée : la Cour de la Commanderie.

C’est un passage couvert d’une trentaine de mètres de long qui débouche sur une jolie petite place entourée de bâtiments anciens.

u débouché de la ruelle, sur la gauche, un écu de pierre gravé d’une croix de Malte subsiste au-dessus d’une porte, souvenir des Chevaliers qui succédèrent aux Templiers du Moyen-Age.

De rares vestiges s'aperçoivent çà et là. Sur le sol de la place, les Rochelais d’aujourd’hui ont inséré dans le pavage ce même écu à la croix de Malte, en grande dimension.

A l’extrémité sud de la place, on passe sous une porte pour se retrouver dans une autre cour, dite Cour du Temple, entourée de demeures anciennes.

L’espace est piétonnier. L’atmosphère dans ces deux cours est paisible et même silencieuse. On est loin de l’activité qui devait régner au temps des Templiers dans cette commanderie qui centralisait le trafic d’un port important par où transitaient des navires et des hommes des contrées lointaines d’Orient.

En sortant de cette cour, on débouche sur la rue des Templiers qui longe l’enceinte de la Commanderie par l’est. Aussitôt en remontant, des murets sur la droite tracent au sol le plan de l’abside de ce qui fut jadis l’église des Chevaliers. Le reste se perd sous les fondations des immeubles.

La rue des Templiers remonte jusqu’à la rue Dupaty, mais aucun vestige médiéval n’attire l’œil. On prend à gauche pour retomber dans la rue du Palais dont on parcourt les arcades en sens inverse pour revenir à la rue du Temple, laissée en attente à l’aller.

Cette dernière ne présente elle non plus aucun vestige particulier lié à l’aventure templière, mais, par elle, nous fermons la boucle qui nous a fait longer l’enclos des Templiers qui se trouvait compris entre : la rue du Palais, la rue Dupaty, la rue des Templiers et la rue du Temple. La Cour de la Commanderie est tout ce qui reste du lieu où vécurent les Templiers du Moyen-Age.

En parcourant rues et ruelles, on met ses pas dans les pas des anciens et, si le regard s’épuise à chercher des vestiges inexistants, la pensée, elle, vagabonde. La cour s’anime. Le pas des chevaux martèle les pavés. Des gens se parlent dans des langues qu’on ne comprend pas. Les vêtures blanches et brunes se croisent tandis que la cloche de la chapelle appelle à l’office de vêpres. Il suffit de si peu pour réveiller la mémoire.

Si on poursuit la rue du Temple vers l’est, on parvient à un carrefour d’où rayonne plusieurs rues. On s’engage alors dans la rue Saint-Sauveur que l’on descend jusqu’au quai Maubec, non sans prendre le temps d’admirer les façades et les ruelles (rue du Port, rue Bletterie).

Le quai Maubec borde le canal du même nom qui jouxte le Vieux Port à l’est. Le long du quai s’échelonnaient au Moyen-Age les moulins du Temple. On peut imaginer là encore le trafic qui devait animer ce quartier tout proche de la Commanderie.

Poursuivons notre promenade en nous dirigeant vers le quai Duperré. Longeons le Vieux Port par le cours des Dames à l’ouest jusqu’au quartier du Pérot où se trouvait jadis la commanderie de Saint Jean de Jérusalem. Le quartier fourmille en période touristique. Il est animé par une floraison de restaurants de toutes nationalités qui rappellent, sans le vouloir, l’aspect cosmopolite du port médiéval. On cherche en vain quelque vestige. Seuls, de rares noms de rues évoquent le passé hospitalier du quartier : rue Saint Jean du Pérot, rue des Deux Moulins, esplanade Saint Jean d’Acre.

Visiter La Rochelle sur les pas des Templiers et des Hospitaliers réserve de bien beaux moments mais laisse aussi un goût amer. Aucun panneau pour renseigner ou tout simplement signaler les lieux importants. Le seul « Temple » qu’on voit écrit en gros sur les plans n’a rien de templier : c’est un temple protestant, juste au-dessus du quai Maubec…

Bibliographie

Louis-Etienne Arcère, Histoire de la ville de la Rochelle et du pays d’Aulnis, 1756 (téléchargeable sur books.google.fr).

A-M. Legras : Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Saintonge et en Aunis, éd. du CNRS, 1983.