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La Commanderie d’Auzon en Poitou

dans le Procès de Michelet

La Commanderie d’Auzon (aujourd’hui Ozon) figure dans le Procès de Michelet sous divers noms : Auso, Auso, Ouso, Ouson, Oyson et même Cuso. La transcription des noms des personnes est affectée elle aussi de semblables incertitudes. Ces approximations étaient dues à la fois à une mauvaise prononciation (les greffiers écrivaient, non ce qu’ils lisaient, mais ce qu’ils entendaient), une interprétation approximative en raison des accents locaux bien marqués à cette époque, et tout simplement à ces lapsus calami, ces fautes d’écriture dont il convient toujours de se méfier dans le traitement des archives manuscrites. A cela s’ajoutent naturellement les erreurs de lecture commises par les paléographes de l’équipe de Michelet auxquels nous devons ce texte aujourd’hui. La recherche, pour délicate qu’elle soit, n’en est pas moins possible et révèle des aspects de l’histoire qui touchent bien davantage à ce qu’ont vécu les hommes plutôt qu’à l’Ordre lui-même.

Naissance de la Commanderie

Une Commanderie ou, plus exactement, une Maison de l’Ordre, comme on disait alors, était une entité particulière, fortement enracinée dans le terroir. Son origine ne tient jamais à la volonté de l’Ordre, mais à celle d’un habitant du lieu qui décide, pour quelque raison que ce soit, pour le pardon de ses péchés, pour son salut, celui de sa famille, de ses ancêtres même, pour compenser par un don sa non participation personnelle à la Croisade, pour soutenir l’action de l’Ordre, de donner une pièce de terre, quelquefois une masure, à l’Ordre du Temple. C’est cette première donation qui sera le point de départ de ce qui deviendra une Maison du Temple.

L’exemple aidant, un autre habitant du lieu ou d’un lieu voisin, donnera une autre pièce de terre, et ainsi de suite. Géographiquement, ces terres sont naturellement disjointes et donc difficiles à exploiter. Rapidement, l’Ordre du Temple, dont le premier souci est toujours l’efficacité, va procéder à ce qu’on appellera bien plus tard le remembrement des terres. Désormais propriétaire, il peut à son tour céder, échanger, louer, vendre. Recomposé avec intelligence et grâce à l’immense popularité dont jouit l’Ordre dans les premières décennies de son existence, le domaine du Temple se recentre et s’étend. Une gestion rationnelle est désormais possible. On construit des bâtiments, on se dote de l’outillage nécessaire en fonction du type de culture ou d’artisanat qu’on y pratique. L’Ordre désigne un ou deux Templier(s) à demeure avec mission de diriger l’exploitation. On engage des journaliers laïcs, on reçoit des « donnés », c’est-à-dire des laïcs qui sont intégrés à l’Ordre sans faire leurs vœux perpétuels, pour un temps le plus souvent fixé à l’avance. La Maison ainsi se constitue en une entité complète autour de quelques Templiers dont la fonction est de diriger l’entreprise. On est toujours surpris d’observer que, dans la réalité, les Maisons du Temple, si importantes qu’elles soient, ne comportent que peu de Templiers. Ceci tient à la nature même de l’Ordre, voué en même temps et au même titre à la prière et à l’action. Le souci de l’efficacité semble avoir été à la base de toutes les décisions, tant au niveau de l’Ordre qu’à celui des Maisons. La notion de superflu, de surnuméraire n’y a pas cours. Il y a seulement ceux et ce qu’il faut pour que les choses soient faites au mieux.

Si nous pouvons supposer que la fondation de la Maison d’Auzon s’est faite dans des conditions à peu près similaires au processus que nous venons de décrire, nous ne possédons aucun document d’archive sur l’établissement de la commanderie. Les seuls témoignages qui nous soient parvenus sont très tardifs et ne remontent pas au-delà de 1270. C’est le Procès qui nous éclaire sur Auzon, nous offrant çà et là quelques informations qui demeurent cependant parcellaires, restreintes dans le temps et sujettes à caution compte tenu des circonstances dans lesquelles elles sont données. Il convient donc d’être très prudent quant à leur utilisation.

Les Templiers d’Auzon

Les minutes du Procès nous éclairent sur la vie de la Commanderie dans les quarante dernières années de l’Ordre. On y apprend, par exemple, qu’en 1270 le précepteur (on ne parlait pas de commandeur à l’époque) s’appelait Pierre de Val Gordon. C’est Aldebert de la Porte qui occupait cette fonction au moment de l’arrestation, en 1307. Il était en charge depuis plusieurs années déjà puisqu’on a un témoignage de son activité en tant que tel en 1301. Il avait succédé à un certain un Jean dont le nom ne nous a pas été conservé, et qui est attesté à cette fonction en 1299.

Le précepteur de la Maison était lui-même subordonné au précepteur du Poitou qui relayait l’autorité de l’Ordre dans la région et assurait la relation constante entre les Maisons locales et la Maison Chêvetaine sur tous les plans, matériel et spirituel. De 1283 à 1295, cette haute fonction fut occupée par un certain Amblard de Vienne, chevalier. Pierre de Villars lui succéda dans les années 1299-1301. Le dernier précepteur du Poitou fut Geoffroy de Gonneville, chevalier lui aussi, un des grands dignitaires de l’Ordre impliqués dans le Procès.

Des activités temporelles de la Maison d’Auzon, nous n’avons que très peu de traces, sinon par la présence d’un certain Pierre, présenté comme « laborator », c’est-à-dire laboureur, dans les années 1306-1307. On est frappé, en faisant la liste des Templiers cités çà et là dans les minutes du Procès, du grand nombre de chevaliers reçus dans cette Commanderie. On emploie un peu abusivement aujourd’hui ce terme. Tous les Templiers n’étaient pas chevaliers, loin s’en faut. La plupart étaient simplement servants (servientes). Il est difficile, en l’absence de précisions écrites, de déterminer l’importance de ces dénominations dans l’Ordre. Il convient en effet de rester très circonspect quant à la définition de ces termes dans le cadre templier. Si l’état de chevalier répond à un statut social privilégié à l’époque médiévale, on constate que dans l’Ordre du Temple, les plus hautes fonctions ont parfois été occupées par des servants. La hiérarchie à l’intérieur de l’Ordre n’annule pas la hiérarchie sociale, mais elle lui en ajoute une autre, purement interne, à connotation spirituelle.

L’Ordre du Temple, en effet, est un ordre monastique, ce qui suppose, comme dans tout ordre de ce type aujourd’hui encore, un aspect confidentiel. Les cérémonies et les rassemblements propres à l’Ordre conservaient ipso facto un caractère interne qui, dans le cadre du Procès, fut utilisé par l’accusation pour jeter la suspicion sur les activités de l’Ordre. Ce n’est pas l’aspect économique qui intéressait les commissaires, dans la mesure où les qualités de gestionnaires des Templiers étaient réputées exemplaires, mais l’aspect intérieur qui offrait par nature des failles propices à la déstabilisation de l’Ordre. Ce sont donc essentiellement des informations de type interne qui apparaissent dans les minutes du Procès.

De la réalité rituelle à la rumeur : le Baphomet d’Auzon

La Maison possédait une chapelle et nous savons que celle-ci servait de cadre à des cérémonies de réception dans l’Ordre. Ces réceptions n’étaient pas nécessairement individuelles : vers 1300, par exemple, Pierre de Villars, précepteur du Poitou, y reçoit quatre Templiers en même temps ; deux chevaliers, Geoffroy Goumar et un autre du diocèse de Limoges, et deux servants, Jean de Ruans et un certain Picard. Ce type de réception plurielle semble avoir été assez fréquent. En 1283, le précepteur du Poitou du moment, le f. Amblard, recevait simultanément 3 chevaliers, parmi lesquels Guillaume Gavant ou Ganant.

Les Templiers reçus dans l’Ordre à Auzon n’étaient pas par principe destinés à la Maison et, souvent, n’étaient même pas originaires du diocèse. La Commanderie avait, si l’on en croit les dépositions, un rayonnement très important. Elle servait de cadre à des chapitres qui s’y tenaient à huis clos, en présence des seuls frères de l’Ordre, et quelquefois de nuit. Un Templier de Tours, Geoffroy de Thatan, déclare lors de sa déposition avoir appris d’un valet nommé Zanot que les chapitres à Auzon se tenaient vers minuit. On faisait sonner la cloche pour signaler aux frères du lieu le début du rassemblement. Après avoir vérifié que seuls des membres de l’Ordre étaient présents, on fermait les portes de la chapelle et c’est dans ce cadre que se faisaient les réceptions. C’est à ce Templier tourangeau, épuisé sans doute par la torture, que l’accusation doit un des témoignages les plus sournois contre l’Ordre, habilement suscité par une Inquisition rompue aux techniques d’interrogatoire. A la question de savoir s’il était vrai qu’un chat leur apparaissait et que les frères l’adoraient, Geoffroy répondit qu’il n’en avait jamais été témoin lui-même, mais qu’il avait entendu dire par des proches du précepteur de l’Isle-Bouchard qui revenaient d’Auzon où s’était tenu un chapitre, qu’un chat était apparu devant les frères pendant les travaux.

Chapitres et réceptions

Des chapitres généraux se sont tenus à Auzon jusqu’à la fin de l’Ordre, le dernier étant attesté en 1306. C’était l’occasion, en particulier, de procéder à des cérémonies de réception qui se trouvaient naturellement placées sous l’autorité du plus haut dignitaire présent, le Précepteur du Poitou. Sur la quinzaine de réceptions citées dans le Procès, une seule a été conduite par un précepteur de Maison, Jean de Saint-Benoît, en 1306, encore celui-ci n’était-il pas précepteur d’Auzon mais de l’Isle-Bouchard, au diocèse d’Orléans. Le dernier précepteur d’Auzon, Aldebert de la Porte, semble n’avoir conduit aucune réception, du moins aucune dont nous ayons gardé la trace.

Les réceptions avaient lieu pendant les chapitres, dans la chapelle, en présence des précepteurs et des frères qui avaient l’habitude d’être convoqués à ces rassemblements. Parmi les nouveaux Templiers dont le Procès nous a transmis les noms, se trouvent des hommes originaires des diocèses voisins, de Saintes, de Tours et de Limoges. Il est fréquent que des membres d’une même famille prennent l’habit, soit contemporains, soit à quelques générations de distance. Ainsi de Guillaume et Mathieu Gavant (ou Ganant), chevaliers, reçus à dix ans de distance, en 1283 et 1293, par le même précepteur du Poitou, Amblard de Vienne. De même, Pierre Juyton fut admis dans l’Ordre en 1296, un an tout juste après son oncle Guillaume. On pourrait penser, à tort, qu’au moment de l’arrestation, le Temple était en période de déclin. Bien au contraire, on observe dans l’ensemble de l’Ordre une recrudescence d’admissions, et particulièrement dans la couche la plus élevée de la société. Sur les trois Templiers reçus à Auzon dans l’année qui a précédé l’arrestation, deux étaient des chevaliers. L’un, Hugues de Relhey, était originaire du diocèse de Tours ; l’autre, un Poitevin, était fils du seigneur de Cloyes. Il s’agit probablement de Cloyes-sur-le-Loir, aujourd’hui dans l’Eure-et-Loir, distant d’Auzon d’environ 150 km.

Quelques patronymes nous permettent de localiser l’origine de certains de ces Templiers. Jean de Saint Benoît, le dernier précepteur d’Auzon, était peut-être originaire de la localité du même nom, Saint-Benoît, et Hugues de Relheyo, de Rouillé ; ces deux localités se trouvent dans un rayon de 25 km environ autour de Poitiers. Pierre de Val Gordon, précepteur en 1270, était sans guère de doute originaire de Vaugourdon, un lieu-dit de la commune actuelle de Veigné, en Indre-et-Loire, à une quinzaine de km au sud de Tours. Jean de Ruans semble devoir se rattacher à Ruan, commune située à une vingtaine de km d’Orléans. Parmi les Précepteurs du Poitou, Amblard était de Vienne, Pierre de Villars, peut-être de Villiers près Poitiers, mais en revanche Geoffroy de Gonneville, grand dignitaire de l’Ordre, compagnon de Jacques de Molay, et qui fut le dernier Précepteur du Poitou, était originaire de Normandie.

Arrestation et incarcération à Poitiers (1307-1310)

Les Templiers d’Auzon furent, comme les autres, arrêtés au matin du 13 octobre 1307 par une délégation conduite par le prévôt du lieu. Ils furent dans un premier temps détenus à Poitiers où ils subirent leur premier interrogatoire dont nous ne possédons pas les minutes. Ceux d’entre eux qui avaient résisté aux conditions de détention furent transférés à Paris deux ans plus tard, comme tous les autres détenus de province, pour le grand Procès de l’Ordre.

29 Templiers détenus à Poitiers arrivèrent à Paris le mardi 17 février 1310. Les minutes du Procès nous ont conservé leur nom et leur diocèse d’origine :

du diocèse de Limoges
Iterius de Lombihacho, chevalier
Iterius de Breveza
Aymericus Chamerlent
Stephanus de Lamon
Guillelmus de Sanzeto
Guido de Corso,
Helias de Chalhistrat, prêtre, curé de l’église de Relhatus

du diocèse de Reims
Petrus de Lonihis
Helias Aymerici

du diocèse de Cambrai
Galterus de Pincon
Mathieu de Alvet, du diocèse de Cambrai
Johannes de Anonia, du diocèse de Cambrai

du diocèse de Rouen
Thomas de Camino

du diocèse de Tours
Petrus de Rupe

du diocèse de Paris
Raynardus de Bondis

du diocèse de Langres
Johannes Le Bergonhons

du diocèse d’Angoulême
Guillelmus Vigerii
Matheus de Stagno
Gerardus de la Terlanderia

du diocèse de Cahors
Guillelmus Bonamor

du diocèse de Bourges
Johannes de Bisonio

du diocèse de Poitiers
Guillelmus Barbot
Humbertus de Reffiet (ou de Podio)
Audebertus de Porta
Johannes Bochandi
Laurencius Bacizin
P. Raynardi
Stephanus Anglici
Stephanus Quintini

La diversité d’origine des Templiers détenus à Poitiers peut s’expliquer par deux raisons. La première tient à l’extrême mobilité des Templiers qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser à cause de leur état de moines, se déplaçaient beaucoup et se sont donc trouvés incarcérés le 13 octobre 1307 dans la prison du diocèse où ils se trouvaient ce jour-là. La seconde raison tient probablement à une certaine volonté du pouvoir de séparer les frères pour leur rendre plus lourdes encore les conditions de détention et les empêcher de se regrouper pour organiser leur défense. Quoi qu’il en soit, ce sont 8 Poitevins seulement qui furent transférés de Poitiers à Paris en cette mi-février 1310.

Le Procès de Paris (1310-1311)

Dès leur arrivée, ils furent traduits un par un devant les commissaires dans la grande salle de l’évêché pour répondre à cette unique question : "voulez-vous défendre l’Ordre ?"

Guillaume Barbot : "oui."
Humbert de Reffiet : "Je suis un pauvre homme. Je n’ai pas l’intention de défendre l’Ordre. Ce que le Grand Maître fera sera bien pour moi." Aldebert de la Porte : "J’ai besoin de prendre conseil auprès du Grand Maître car je lui dois obéissance."
Johannes Bochandi : "Je suis un pauvre homme et je ne saurais défendre l’Ordre. Ce que fera le Grand Maître me conviendra."
Laurent Bacizin : "Je le défendrais volontiers si j’en avais les moyens, mais je ne les ai pas. Je laisse donc le soin de la défense à mes supérieurs."

P. Raynardi : "Je m’en remets au Grand Maître."
Etienne Langlois : "Je m’en remets au Grand Maître parce qu’au moment de l’arrestation, je n’étais dans l’Ordre que depuis deux ans."
Etienne Quintin : "Je veux bien, selon mes possibilités."

Après ce rapide interrogatoire, les Templiers furent séparés en petits groupes en fonction du lieu prévu pour leur détention à Paris. Quatre d’entre eux furent conduits à l’abbaye Sainte-Geneviève, et deux à la Serpent. Nous ignorons où furent détenus le précepteur, Aldebert de la Porte, et P. Raynardi.

La maison de la Serpent était en fait la résidence de l’abbé de Fismes. Elle était située dans la paroisse Saint-André-des-Arts, entre l’actuelle Fontaine Saint-Michel et Saint-Germain-des-Prés. Là se trouvèrent rassemblés près de 25 Templiers. La grande majorité d’entre eux était originaire du diocèse de Sens ; quelques-uns venaient d’Orléans, de Bourgogne, de Saintes, de Poitiers.

L’abbaye Sainte-Geneviève, aujourd’hui disparue, se trouvait globalement sur la colline du Panthéon, non loin de la Sorbonne. La plupart des Templiers transférés depuis Poitiers furent incarcérés dans cet établissement. Guillaume Barbot, Etienne Quintin, Laurent Bacizin et peut-être Etienne Langlois y furent détenus. Une vingtaine de Templiers s’y trouvaient reclus dans une grande salle ; cinq autres étaient gardés dans une pièce à part.

Le temps passa, scandé par les visites des commissaires qui faisaient le tour des maisons parisiennes où l’on avait réparti les prisonniers. Chaque groupe fut amené ainsi à choisir un représentant pour faire partie d’une sorte de commission destinée à la défense de l’Ordre. Il n’y avait rien moins qu’une trentaine de maisons, disséminées aux quatre coins de Paris et même hors de l’enceinte. Les mois passèrent et ce n’est que le samedi 11 avril, juste avant les Rameaux que les véritables interrogatoires individuels commencèrent.

La déposition d’Aldebert de la Porte

Nous ne possédons pas, hélas, la déposition de tous les Templiers. Certains sans doute moururent avant leur comparution. Un procès si long et si complexe ne pouvait aller aussi sans quelques oublis, quelques pertes. Il nous reste cependant un document à la fois passionnant et émouvant : la déposition d’Aldebert de la Porte, le précepteur d’Auzon.

Aldebert de la Porte comparut le lundi 5 avril 1311. Agé d’une cinquantaine d’années, il n’était pas chevalier, mais servant. Il ne portait plus le manteau de l’Ordre depuis le concile de Sens et s’était fait raser la barbe comme on le lui avait demandé lors du premier procès à l’évêché de Poitiers à l’issue duquel, comme la plupart des Templiers, il avait été absous et « réconcilié ». On lui relut sa déposition de l’époque. Il déclara n’y rien vouloir changer. Il affirma ensuite qu’il n’avait en aucune manière connaissance d’autres choses concernant l’Ordre que ce qui serait contenu dans la déclaration qu’il allait faire.

Il avait été reçu dans l’Ordre à l’âge de trente-cinq ans, une veille de Pâques. Cela se passait dans la chapelle du temple de Dompuho, au diocèse de Saintes. La cérémonie était conduite par Odon Borel, un chevalier aujourd’hui décédé. Trois Templiers, des servants, étaient présents : Jean du Sac et Guillaume Bocuni étaient morts depuis ; seul vivait encore Jean Bormant, qui avait été incarcéré à Loches au diocèse de Tours.

La cérémonie était simple. Il avait demandé, selon les termes consacrés, le pain et l’eau et la compagnie de l’Ordre. Le précepteur, Odon Borel, les lui avait accordés parce qu’il apportait en dot dix livres de rentes. Il pensait en effet qu’autrement il n’aurait pas été admis. Quoi qu’il en soit, le précepteur lui avait fait prononcer ses vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté ou plus exactement de non-propriété. Il lui fait avait jurer en outre de respecter les bons usages et les bonnes coutumes qui étaient ceux de l’Ordre et de ne jamais trahir le secret des chapitres. Ces engagements pris, Odon Borel l’avait revêtu du manteau de l’Ordre et l’avait embrassé sur la bouche. Les trois assistants avaient fait de même. Le précepteur lui donna ensuite quelques instructions de base : combien de Pater Noster il fallait dire chaque jour pour ses heures ; dormir avec sa chemise de lin et ceint d’une cordelière qu’il prendrait où il pourrait ; comment se comporter dans l’Ordre. Ils s’étaient alors retirés. La réception était terminée. Il ne s’était rien passé d’illicite ni de contraire aux mœurs lors de cette réception, et il n’avait jamais eu connaissance que quoi que ce soit de ce genre ait eu lieu par la suite. Il ne le croyait d’ailleurs pas possible.

Il avait lui-même assisté à plusieurs réceptions qui s’étaient déroulées de la même manière. Il y a cinq ans, par exemple, il était là lors de la réception d’Etienne Langlois. Cela se passait dans la chapelle d’Auzon. L’officiant était Jean de Saint-Benoît, décédé depuis peu. Là aussi, il y avait des assistants : il se souvenait d’un prêtre, Mathieu de Garucto, et de Guillaume Barbot, lesquels ont été tous deux emprisonnés en 1307 à Sainte-Maxence au diocèse de Poitiers ; était présent aussi le frère Pierre, qui travaillait comme laboureur dans la maison d’Auzon et qui avait été incarcéré à Poitiers. Tous étaient servants. Bien plus tôt, il y a 28 ans environ, il avait assisté à la réception de trois chevaliers : un certain Guillaume Gavant et deux autres dont il a oublié les noms. C’était le précepteur du Poitou de l’époque, Amblard, aujourd’hui décédé, qui conduisait la cérémonie. Plusieurs frères étaient présents. Il se souvenait d’un certain Guillaume Bertrand, mais la plupart étaient morts depuis.

Il déclara ensuite qu’il avait foi dans les sacrements de l’Eglise et qu’il pensait que tous les frères de l’Ordre y croyaient de même. Les prêtres du Temple officiaient bien comme ils devaient. Dès qu’ils avaient prononcé leurs vœux définitifs, les Templiers prenaient l’engagement de ne pas quitter l’Ordre. Les réceptions se faisaient à huis clos. Seuls des frères du Temple y étaient admis. Si des frères ont eu connaissance d’irrégularités dans l’Ordre, ils se sont rendus coupables de négligence s’ils ne les ont pas corrigées ou dénoncées à l’Eglise. Pour les aumônes et l’hospitalité, il a pu constater qu’elles étaient pratiquées convenablement dans toutes les maisons du Temple où il a été amené à demeurer. Les chapitres se tenaient à huis clos. Seuls les frères y étaient admis. Les réunions avaient lieu après la messe, surtout l’été, pour qu’ils n’aient pas à chevaucher aux heures de grande chaleur. L’ensemble de l’Ordre devait obéir aux décisions prises par le Grand Maître et le convent. Aujourd’hui, l’Ordre était un sujet de scandale, de suspicion et d’infamie. Il avait même entendu dire que le Grand Maître et quelques autres avaient fait confessé des choses.

Les larmes n’avaient cessé de couler sur les joues d’Aldebert de la Porte pendant toute sa déposition. « Laissez-moi la vie sauve », implora-t-il. « Si j’ai dit d’autres choses à l’official de Poitiers, c’est parce qu’on m’avait torturé ! »

Les commissaires restèrent de marbre. Ils lui demandèrent comme le voulait la procédure s’il avait déposé sur demande, sur ordre, par crainte, par amour, par haine ou pour tout avantage obtenu ou à obtenir. Aldebert de la Porte répondit que non. Il avait parlé par souci de la vérité. On lui enjoignit enfin de garder le secret sur sa déposition jusqu’à ce que les actes soient publiés. Ce fut tout. Il avait à peine quitté la pièce qu’un autre Templier, Pierre de Tours, le précepteur de Frotay, prenait sa place et s’apprêtait à faire sa déposition.

Epilogue

Qu’advint-il d’Aldebert de la Porte ? Qu’advint-il de Guillaume, d’Humbert, de Jean, de Laurent, de Pierre, des deux Etienne ? Ils ont fini leurs jours, sans doute, au fond de quelque couvent, rongés par l’incompréhension, les souffrances physiques et morales, la solitude. Le pire, peut-être, était le vide, l’absence de ceux-là qui comme eux avaient fait le vœu d’être à jamais serfs et esclaves d’une Maison qui, depuis ce matin brumeux d’automne 1307, n’existait plus.

Informations pratiques

La Commanderie d'Auzon est une propriété privée, mais il est toujours possible de contacter les propriétaires, très attachés à l'histoire de leur Maison, par l'intermédiaire du syndicat d'initiatives de Châtellerault, par exemple.

Bibliographie

AUZANNEAU (Jean-Marie)
A la Gloire des Templiers, Chevaliers de Dieu. Commanderies du Temple en Poitou-Charentes du XIème-XIIIème siècles, Ed. le Cercle d'Or, 1980.

BOURALIÈRE (Augustin de la)
Deux souvenirs des Templiers en Poitou, in Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 2ème série, t. XXI, Ier trimestre de 1901.

TRANCHANT (Charles)
Procès-verbal de la remise des Maisons diverses des Templiers aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem dans la Poitou (le dimanche avant les Rogations 20 mai de l'année 1313), in Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, Poitiers, 1883, t. II.

ROCHEBROCHARD (Louis, Henri de la)
Les Commanderies du Temple en Poitou, in Revue Poitevine et Saintongeaise, 1889 et 1890.

Liens

Auzon dans l'Inventaire
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=CHERCHER…

Association Guillaume de Sonnac - Mémoires Templières de la Commanderie d'Auzon
http://www.guillaumedesonnac.com/