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Le procès des Templiers de la sénéchaussée de Beaucaire
essai de reconstitution

Il est extrêmement délicat de reconstituer précisément le déroulement du procès. La transcription effectuée par Ménard dans son Histoire de Nîmes est loin d’être fiable  en raison des inexactitudes, mais surtout des fins d’interrogatoires tronquées et des chronologies disparates. La confrontation avec le ms Baluze disponible sur Gallica est ardue et réserve quelques surprises. En outre ce manuscrit, constitué à partir de parchemins cousus ensemble, comporte lui-même des sources d’erreur. Le début du rouleau est composé d’interrogatoires de 1310 que l’on retrouve, d’une autre main, à la fin. Un mal pour un bien puisque, par chance, le dernier, celui de Pons Seguini, incomplet à la fin, se trouve complété par celui du début. Deux parchemins en outre ont été cousus dans le désordre. L’encre d’un certain nombre de folios est presque effacée de sorte qu’il est souvent nécessaire de confronter avec la transcription de Ménard. Bref, l’affaire est délicate.

Des indications de date, heureusement, émaillent les interrogatoires, malheureusement pas pour chaque déposition de sorte qu’on a souvent du mal à déterminer le jour exact. Plus gênant, les dates, le plus souvent établies selon le calendrier latin (kalendes, nones et ides), sont d’un maniement malaisé. Elles se contredisent même quelquefois.

Nous avons tenté cependant un tableau chronologique des dépositions rapportées à la fois dans le manuscrit Baluze et dans Ménard.

Parmi tous ces Templiers, seuls ont comparu quatre chevaliers, P. de Castello-Bono B. de Selgues, Pons Seguini et Pons Seguerii, et un prêtre, R. Sagerii, lors de ce procès qui s’est déroulé en 3 grandes phases (juin-juillet 1310, septembre 1311 et novembre 1312), auxquelles s’ajoutera pour nous le procès de Paris des années 1310-1311.

Chronologie des comparutions

 Les interrogatoires de 1307 : Aigues-Mortes et Nîmes

Le procès de 1307 ne figure pas dans le rouleau Baluze sur lequel nous avons pu travailler. Force a donc été pour nous de nous appuyer pour le reconstituer sur la transcription donnée par Ménard à partir de la p. 195 jusqu’à la p. 209 des Preuves.

C’est le sénéchal de Beaucaire, Bertrand Jourdain de l’Ile qui reçut commission de faire procéder à l’arrestation, assisté des chevaliers du roi Henri de Celle et Oudard de Maubuisson. 66 Templiers furent arrêtés dans la sénéchaussée : 45 d’entre eux furent emprisonnés à Aigues-Mortes, 15 à Nîmes et 6 à Alès.

Les 43 premiers interrogatoires ont été menés sous l’égide d’Oudard de Maubuisson et de l’évêque Bertrand de Languissel à partir du 8 novembre à Aigues-Mortes, dans l’hôtel royal de la Claverie. Cet hôtel, qui abritait l’administration du port, se trouvait au Port dit « antique », au sud de la ville. Tous vont confesser certains chefs d’accusation : le reniement de la croix et les crachats (de bouche et non de cœur), les attouchements, le secret de la réception, l’obligation, sous peine de prison ou même de mort, de ne pas quitter l’Ordre. Ils nient cependant avoir eu des relations homosexuelles, affirment que leur cordelière n’a jamais touché une idole quelconque, soutiennent ne rien savoir de l’existence d’une telle idole, et déclarent ignorer le problème de la consécration des hosties. Nombre de dépositions sont transcrites de la façon la plus lapidaire : il a répondu comme le précédent, ou comme untel. Les plus longues sont identiques presque mot pour mot. Seuls diffèrent les noms de personnes et de lieux et, quelquefois, des témoignages vraiment particuliers. Les minutes sont-elles fiables ? D’une certaine façon, mais elles demeurent partielles. Elles ne reproduisent en effet que quelques-unes des réponses par rapport à la centaine d’articles prévus pour l’interrogatoire. Il paraît évident, en outre, que des choix ont été opérés pour qu’elles aillent dans le sens souhaité par le pouvoir. Mais surtout, elles montrent le rôle de la torture dans ce procès. D’année en année, les aveux se font plus nombreux, plus précis (au mot près souvent), jusqu’à l’abjuration collective, en 1312, d’ex-frères d’un Ordre désormais enterré.

L’intérêt de ces minutes demeure cependant pour nous primordial. Elles nous apportent des données de première main sur la manière dont s’est déroulé le procès, sur les Templiers en tant qu’individus mais aussi en tant que participants de l’Ordre, sur un certain nombre d’usages en son sein, principalement sur la cérémonie de réception et sur les chapitres provinciaux et généraux.

Les interrogatoires d’Aigues-Mortes et de Nîmes demeurent la base à partir de laquelle on aborde le procès des Templiers de la sénéchaussée de Beaucaire. Ils rassemblent le plus grand nombre de frères et une partie d’entre eux n’apparaîtront plus par la suite Il nous a donc semblé naturel de procéder en suivant le fil des dépositions de 1307, déroulant pour chacun des frères ce qui le concerne dans les interrogatoires successifs. Ils sont moins d’une dizaine, par ailleurs, à n’avoir pas été interrogés en 1307 mais à apparaître au procès d’Alès. Dans le but d’être aussi complet que possible, nous avons choisi de les étudier à la fin.

Aigues-Mortes et ses étangs (Carte de Cassini)

Aigues-Mortes (www.moyenagepassion.com)

8 novembre 1307 (Aigues-Mortes)

Ce 8 novembre, premier jour des interrogatoires, 8 Templiers furent interrogés. Le premier, Bertrand Arnaudi, était de Valréas. Le nom d’Arnaud est encore porté de nos jours à Valréas et dans l’ensemble de la région. On sait, par sa déposition de 1310, qu’il avait été reçu 30 ans plus tôt à Richerenches par le précepteur de la maison, le chevalier Raymond Chambarut. Il confessa presque tout, le crachement sur la croix, le reniement les baisers obscènes, mais nia la sodomie et l’adoration d’une idole. Il ne paraîtra donc ni en 1311 ni en 1312. On ne sait à quel convent il appartenait ni quelle fonction il occupait.

Pierre Tholosa (ou de Tholosa) appartenait au convent de Jalès. Il porte un nom, Toulouse, encore très courant dans le Gard. Sa déposition de 1307 rejoint celle du frère Arnaudi. On sait par celle de 1310 qu’il avait été reçu pour le maître du Temple en Provence par Barral de Gauzignan, qui sera précepteur du Puy en 1306 après avoir été précepteur de Saint-Gilles. Il abjurera les actes hérétiques retenus contre l’Ordre, s’en remettant à la justice ecclésiastique. Il dira aussi n’avoir jamais participé à un chapitre général, « étant un simple frère servant, et un paysan ». Ce sera sa dernière comparution.

La commanderie de Jalès au début du 20<sup>ème</sup>&nbsp;s.)

R. de Labiis d’Oysa, servant du convent de Jalès, ne comparaît que dans le procès de 1307. Son nom évoque Les Laubies, en Lozère, qui était une dépendance de la commanderie ardéchoise de Jalès. On ne sait rien sur ce frère qui n’apparaîtra plus.

Raymond de Villa, du convent de Jalès lui aussi. On ne sait rien de lui et il n’apparaîtra plus dans les phases ultérieures du procès.

Pons Plancuti appartenait à la commanderie de Saint-Gilles où il occupait la fonction de « preceptor sabaterie », qu’on peut traduire par responsable des travailleurs du cuir. Outre l’usage quotidien (cordonnerie, ganterie), le cuir était indispensable au harnachement des chevaux, et on sait que Saint-Gilles comportait d’importantes écuries. Il n’apparaîtra dans aucune des sessions suivantes.

Guillaume Deodati était de Beaucaire. Ce patronyme (en français : Dieudonné) est encore attesté à Beaucaire et assez fréquent dans l’ensemble du Gard. Ce frère appartenait au convent de Saint-Gilles et assumait la fonction de précepteur de Néga-Romieu, maison aujourd’hui disparue qui se trouvait au sud de la presqu’île d’Etel. Elle était probablement vouée principalement à la récolte du sel. Peut-être aussi remplissait-elle une fonction portuaire ? En 1311, il dira n’avoir jamais assisté à aucun chapitre général et qu’il n’a donc jamais vu d’idole. Pour le reste, il abjurera, comme les autres, et réitèrera lors du procès de 1312. Le Procès de Michelet (II, p. 157) mentionne un frère Hugues Déodat, du diocèse de Rodez, reçu à Espalion vers 1303 par Guigues Adhémar.

déposition de Guillaume Deodati (rouleau Baluze)

G. Cabassuti appartenait à la commanderie de Saint-Gilles où il exerçait la fonction de « preceptor equarum ». Il convient sans doute de lire « equorum » à moins d’imaginer un responsable spécial pour les juments. On sait que de nombreux chevaux étaient embarqués sur les galées de l’Ordre en direction de la Terre Sainte, de sorte que les écuries de Saint-Gilles devaient être particulièrement importantes. On ne sait rien de plus sur ce frère qui ne comparaîtra pas lors des sessions suivantes. Le nom de Cabassut est toujours porté dans le Gard dans la région de Nîmes et de Lunel.

Pons Ruffi, de la commanderie de Saint-Gilles, exerçait la fonction de bouteiller à la maison de Générac, entre Nîmes et Vauvert. Le bouteiller était responsable des vins mais aussi de l’approvisionnement en général. Ruf ou Ruff est encore attesté à Nîmes. Il abjurera en 1311 et confirmera l’année suivante.

9 novembre 1307

Le lendemain 9 novembre, ce fut au tour de 13 Templiers, 7 du convent de Saint-Gilles et 6 de celui de Montpellier. Parmi eux comparurent le précepteur d’Aubais, G. Penchenati, du convent de Saint-Gilles, et ceux de Lunel, P. Arnaudi, de La Bruyère, R. Alamandini, et de Vauguières, G. Alazaudi (ou Alazandi), ressortissant du convent de Montpellier. Sur les 13 comparants, un seul chevalier, dont on ignore malheureusement la fonction : Pons Seguini, du convent de Saint-Gilles.

P. Arnaudi, qui appartenait au convent de Montpellier, était précepteur de Lunel. Ce patronyme est extrêmement fréquent dans l’Hérault. Comme les autres, ce frère avoue presque tout mais nie l’existence de l’idole. On ne sait rien de plus sur ce frère qui n’apparaîtra plus dans la suite du procès, à moins qu’il ne faille l’identifier, en raison d’une erreur de transcription, à Pierre Armandi, interrogé en 1310 et 1311, dont nous verrons les dépositions plus loin.

Raymond Correia exerçait la fonction de bouteiller, d’économe, à Saint-Gilles. Correia est un patronyme bien présent à Nîmes et ailleurs dans le département. On ne sait rien d’autre sur ce frère.

Pierre Vilar ou Vilari, du convent de Saint-Gilles, exerçait la fonction de « preceptor fustarie », responsable de la charpenterie. A Saint-Gilles, il s’agissait sans aucun doute essentiellement de la charpenterie de marine. Dans sa déposition de 1310, on apprend qu’il a été reçu dans l’Ordre treize ans plus tôt par Guigues Adhémar pour le Maître de Provence. Il abjurera en 1311. Vilar est un nom très fréquent dans la région.

Bernard Vitalis était « preceptor vaccarum », responsable vacher, à Saint-Gilles. On apprend par sa déposition de 1310 qu’il était de Pézenas. Il avait été reçu 40 ans plus tôt à Arles par le Maître de Provence de l’époque, Roncelin de Fos. Il abjurera en 1311. Vital, Vitali et Vitalis sont encore des patronymes bien présents dans le Gard.

Pons Seguini, du convent de Saint-Gilles, était chevalier. Sa déposition ne diffère guère de celle des autres frères. Il nie le fait de l’idole. Sa déposition de 1310 nous apprend qu’il avait été reçu 22 ans plus tôt à Montpellier par Pons de Brozet qui exerçait alors la fonction de maître provincial. Il a eu l’occasion d’assister à des chapitres généraux, qui se tenaient autour de minuit. On célébrait les matines et un religieux d’un autre Ordre (Frères MIneurs, Prêcheurs ou Carmes) prononçait une homélie avant d’être raccompagné à l’extérieur. Le chapitre se déroulait portes closes. Il nie toujours l’adoration d’une idole, ce qu’il confirmera l’année suivante tout en abjurant les autres erreurs. L’abjuration sera totale en 1312.

Guillaume Penchenati appartenait au convent de Saint-Gilles et occupait la fonction de précepteur d’Aubais, près de Sommières dans le Gard, où les Templiers possédaient une maison de ville ou « stare ». Il subsiste encore dans le vieux quartier d’Aubais, une rue de la Commanderie. Il fait les mêmes aveux que les précédents. Sa fonction laisse malgré tout un doute. Si, dans sa déposition de 1307, il est signalé en tant que précepteur d’Aubais par Ménard (affirmation que nous n’avons pu vérifier faute d’avoir eu le manuscrit en mains), il est présenté en 1310 en tant que précepteur de Lunel (vérification faite sur le manuscrit Baluze). En 1311, il est seulement dit « de Lunel », sans titre particulier. En 1312, aucune indication de lieu n’est indiquée. Or, comme nous l’avons vu plus haut, c’est un autre frère qui occupait cette fonction : Pons Arnaudi. Faute d’indications supplémentaires, il est malheureusement impossible de régler définitivement cette question. On apprend par ailleurs par ses déclarations qu’il a été reçu 15 ans plus tôt à Montpellier par Pons de Brozet. Il affirme n’avoir pas subi la torture à Aigues-Mortes, et sa déposition ne change guère.

Guillaume Saurini n’apparaît qu’au cours de cet interrogatoire de 1307. On sait seulement de lui qu’il était du convent de Saint-Gilles. Le nom de Saurin est encore bien représenté dans le Gard. Un frère nommé Stephanus Saurini, du diocèse d’Uzès, figure au nombre des Templiers présents à la réunion de l’évêché à Paris le 28 mars 1310.

Pierre Savarici n’est connu lui aussi que par l’interrogatoire d’Aigues-Mortes. On sait seulement qu’il était du convent de Montpellier. Savary, Savarit et même Savarie sont des formes très courantes de ce patronyme tant dans le Gard que dans l’Hérault.

Etienne Molnerii, du convent de Montpellier, appartenait à la commanderie de Lunel. Il ne témoignera qu’en 1307. Moliner, Moinier, Mon(n)ier, Mounier, sont des patronymes extrêmement courants dans l’Hérault.

Raymond Alamandini, du convent de Montpellier, était précepteur de la commanderie de La Bruyère. Il s’agit peut-être du hameau de La Bruyère, au nord de la commune gardoise de Générargues, près d’Alès. Il sera présent à toutes les phases du procès, de 1307 à 1312. On sait par la déposition de Raymond Alazaudi (ou Alazandi) de Gazalanicis que Raymond Alamandini était présent à sa réception au Temple de Montpellier dont il occupait alors la fonction de précepteur. Il finira par abjurer et se repentir comme les autres. Dans le Procès de Michelet, Hugues de Pairaud, visiteur de France, cite un frère Pierre Alemaudin, précepteur de Montpellier, rencontré lors d’un chapitre général, à qui il avait remis la fameuse tête. Le patronyme Allamand ou Allaman est encore présent dans le Gard et l’Hérault.

G. Alazaudi, du convent de Montpellier, occupait la fonction de précepteur de Blaguerais. Trudon des Ormes traduit ce toponyme par Blaguerie, dans l’Hérault, mais nous n’’avons pu trouver trace de ce lieu. La commanderie, ou plutôt la grange de Balgueriis se trouvait près de Mauguio, à quelques km à l’est de Montpellier, et de Saint-Marcel. C’est peut-être aujourd’hui un des lieux-dits Vauguières, près de l’actuel aéroport de Montpellier-Méditerranée, ou encore La Balaurie, au nord-est de Mauguio, des toponymes qui n’apparaissent que sur la carte topographique de l’IGN. La ferme de Balguerie donnée par le Dictionnaire Topographique, conviendrait sans doute mieux, mais elle se trouvait près de Cessan, à plus de 30 km de Mauguio. Nous ne l’avons localisée sur aucune carte. Le patronyme Alazaud n’est plus guère présent aujourd’hui sauf dans la région d’Arles. G. Alazaudi ne reparut pas après cet interrogatoire de 1307. Curieusement, un autre frère du même nom, mais prénommé Raymond, absent en 1307, apparaît dans les minutes en 1310, 1311 et 1312. La tentation est certes forte de réunir les deux mais l’un est du convent de Montpellier et la commanderie de Balgueriis, l’autre de Saint-Gilles.

Etienne Beriajas, du convent de Montpellier, appartenait lui aussi à la commanderie de Balgueriis (voir le précédent). On n’a de lui que la mention de son audition lors du procès d’Aigues-Mortes en 1307. Nous n’avons pas trouvé trace de ce patronyme d’origine espagnole dans la région.

G. de Arssacio était du convent de Saint-Gilles. Il n’apparaîtra plus après sa déposition à Aigues-Mortes. Dans le Procès (II p. 123), Michelet cite un Guy d’Arsac, précepteur de Bellechassagne au diocèse de Limoges. En II p. 152, il est prénommé Guillaume et aurait été présent à une réception vers 1275. Arsac est encore aujourd’hui un nom répandu dans le Gard et l’Hérault.

10 novembre 1307

Ce jour-là, il n’y eut que 6 comparutions : 4 frères du convent de Montpellier, parmi lesquels un chevalier, Bertrand de Selve, et 2 frères du convent de Saint-Gilles, dont le précepteur, Bernard de Selgues, chevalier lui aussi. Un fait notable tient à l’intervention, lors de la déposition de ce dernier, d’un frère de Lombardie concernant la non-consécration des hosties.

Bertrand de Selva (ou Silva), chevalier, relevait du convent de Montpellier. Sa déposition d’Aigues-Mortes est très détaillée, comme le sera peu après celle de Bernard de Selgues, lui aussi chevalier. Dans sa déposition de 1310, nous apprenons qu’il était originaire de Ceyssac en Haute-Loire, à quelques km à l’ouest du Puy-en-Velay. Dans son Cartulaire des Templiers du Puy, Chassaing corrige son nom en Séauve, en relation avec La Séauve-sur-Sémène, près de Saint-Didier-en-Velay. En outre, une charte de ce Cartulaire atteste qu’en 1291, il occupait la fonction de précepteur de Saint-Barthélémy du Puy. Il avait été reçu dans l’Ordre en 1280 ou peut-être avant à Montpellier par Roncelin de Fos et que, suite à l’arrestation, il avait été détenu à la commanderie de Montpellier. Il avait eu l’occasion d’assister à six ou sept reprises à des chapitres généraux. Sa déclaration de 1311 apporte quelques éléments particulièrement intéressants. Il affirme à présent avoir assisté à un chapitre général au cours duquel fut présenté un démon, une idole sous la forme d’un chat et même sous la figure de femmes. Ils adorèrent ledit chat qui répondaient à leurs questions et leur annonçait de bonnes récoltes, de l’or, de l’argent, du bétail etc. Ces propos contredisent absolument sa déposition de 1310, ce qui suffit à prouver l’usage de la torture pour soumettre les récalcitrants. En outre, au cours de ce chapitre et d’autres, les frères se levaient, se plaçaient devant celui qui conduisait le chapitre et lui confessaient leurs fautes, et le maître leur donnait l’absolution. Il dit aussi qu’il y avait dans la maison de Montpellier deux livres fermés à clef contenant la Règle, les Retraits et ce qui avait trait à la justice de l’Ordre. Il avait en garde un des exemplaires, tandis que l’autre avait été confié à Raimbaud de Caron, le maître du Temple en Provence. Cette déposition dut satisfaire les commissaires car Bertrand de Selva n’apparaît pas dans la liste des ex-Templiers de 1312. Par ailleurs, Silva et Sauve ou Séauve sont des paronymes très courants en Haute-Loire.

Le Puy-en-Velay – église Saint-Barthélémy

R. de Jochosii. Nous ne savons rien de plus sur ce frère du convent de Montpellier qui n’apparaît qu’à l’interrogatoire de 1307. Son nom, à rapprocher du latin jocosus, joyeux, indique peut-être qu’il était originaire de Joyeuse en Ardèche.

Pierre Daguzan exerçait la fonction de chambellan à la commanderie de Montpellier mais nous ne savons rien de plus car il ne comparut dans la région qu’en 1307. Il est transféré à Paris le 10 février 1310 sous le nom de P. de Agusano et on le retrouve le 14 mars suivant dans la liste des Templiers volontaires pour défendre l’Ordre, puis Le 28 lors se la grande réunion au jardin de l’évêché. Nous ignorons s’il a fait une déposition, Michelet n’en faisant pas mention. Aguzan, d’où il était sans doute originaire, est un hameau sur la commune gardoise de Conqueyrac, qui possède encore la chapelle de son Prieuré Saint-Martin au chevet en cul-de-four. En tant que patronyme, ce nom d’Aguzan n’existe plus aujourd’hui.

Bernard de Selgues, chevalier, était le précepteur de Saint-Gilles. Chassaing, dans son Cartulaire des Templiers du Puy, le dit originaire du Velay et corrige son nom en Saugues en relation avec le village de Siaugues-Saint-Romain (appelé aussi Siaugues-Sainte-Marie), à l’est du Puy. Sa déclaration de 1307 est quasiment la même que celle de Bernard de Selva. On ne sait trop si l’audition suivante eut lieu en 1309 ou 1310, les minutes transcrites pas Ménard étant extrêmement confuses sur le plan chronologique. Quoi qu’il en soit, on y apprend qu’il fut reçu dans la chapelle de Saint-Gilles par Pons de Brozet entre 1285 et 1290. Il avait assisté à 5 ou 6 chapitres généraux à Montpellier pendant lesquels était dispensée une homélie par un religieux qui sortait aussitôt après. Il parle des punitions imposées à ceux qui commettaient des fautes, comme manger par terre ou être incarcéré en cas de vol. Il parle aussi des mutations qui s’y décidaient. En revanche il nie l’existence d’une idole, d’une tête d’homme en argent, en or ou autre. Il nie de même celle de ce chat ou de ces corbeaux offerts à l’adoration des frères. Quant à l’apparition de femmes, il affirme n’en rien savoir. C’est par lui que commenceront les auditions d’Alès en 1311. Sa déposition est particulièrement longue et servira de référence (pour le scribe) aux suivantes. Il persiste à nier les pratiques homosexuelles et le fait que la cordelière soit mise en contact avec une idole. Ce qu’il ajoute a trait aux chapitres généraux de Montpellier auxquels il a assisté maintes fois. Lors de l’un d’eux, il déclare avoir vu une tête et un démon sous la forme d’un chat qui tournait autour et qui parlait, annonçant aux frères de bonnes moissons, de l’or, de l’argent et d’autres biens temporels à profusion. Chacun entrait en adoration devant ce chat et, aussitôt après, apparaissaient des démons sous l’apparence de femmes offertes à qui voulait dans l’assistance. Lui, naturellement, s’était abstenu. La tête répondait à toutes les questions du maître du chapitre. Loyal malgré les tortures qu’il avait dû subir pour faire de tels aveux, Bertrand de Selgues affirme ne pas se souvenir de quelque autre Templier lors de ces chapitres. La déposition se poursuit par le rappel rapide de sa propre réception, vers 1285, par Pons de Brozet. Il abjure enfin toutes les erreurs commises dans l’Ordre et exprime son désir de rentrer dans le sein de l’Eglise. C’est encore B. de Selgues qui sera le premier à comparaître en 1312. L’ex-précepteur de Saint-Gilles réitère son abjuration, les mains sur l’Evangile, et prie pour obtenir sa réintégration dans l’Eglise, l’accès aux sacrements et la levée de la sentence d’excommunication. Il jure de ne plus jamais retomber dans l’hérésie « ni en paroles, ni en actes, ni en signe ou de quelque autre manière » et promet une obéissance totale à la sainte Eglise romaine.

Raymond Alazandi (ou Alazaudi) de Gazalanicis exerçait la fonction de chambellan à la commanderie Saint-Gilles. Nous ne possédons pas sa déposition de 1307. Celle de 1310 nous apprend qu’il avait été reçu à Montpellier par Pons de Brozet en 1285 en présence du précepteur de la maison, Pierre (et non Raymond comme supra) Alamandini. Il finira par abjurer lui aussi en 1312. Gazalanicis peut être identifié à Galargues, près de Sommières, dans l’Hérault, ou à Gallargues-le-Montueux, dans le Gard, à quelques km au nord de Lunel. Gallargues se trouvait sur le chemin du pèlerinage de Compostelle, ce qui, ajouté au fait que Raymond Alazandi appartenait à la commanderie de Saint-Gilles, incite à privilégier la seconde hypothèse.

G. de Ranco était le précepteur de la commanderie de Montpellier. Les minutes de 1307 ne mentionnent que sa présence. Il n’apparaîtra lors d’aucune des sessions. En fait, il a été transféré à Paris depuis le diocèse de Nîmes le 10 février 1310. on le retrouve le 14 mars suivant dans la liste des Templiers volontaires pour défendre l’Ordre, puis Le 28 lors se la grande réunion au jardin de l’évêché. Nous ignorons s’il a fait une déposition, Michelet n’en faisant pas mention. Guillaume de Ranc était peut-être originaire du Ranc d’Avène (ou Avaine) en Ardèche, un promontoire rocheux dominant le Chassezac, creusé de grottes et où subsistent des dolmens. Le mot « ranc » désignait une étable ou un toit à porcs. En tant que patronyme, Ranc est très fréquent dans l’Ardèche, le Gard et l’Hérault.

11 novembre 1307

En ce 11 novembre, dernier jour du procès d’Aigues-Mortes, 16 Templiers ont comparu, tous du convent de Montpellier sauf deux : P. Perrini et Nazaire Boteti (ou Boteli ou Boceli), du convent de Saint-Gilles. Parmi eux, 5 précepteurs : P. Galhardi, précepteur de Launac, B. Marquesii, précepteur de la grange de Bannières, Nazaire Boteti, précepteur de Venrella, et P. Bruni, précepteur du Mas-Neuf. Le seul prêtre à apparaître dans l’ensemble de ce procès, Raymond Sagerii, comparut en dernier.

Pierre Galhardi était en 1307 précepteur de Launac, sur la commune de Fabrègues, à quelques km au sud-est de Montpellier. C’est aujourd’hui Launac-le-Vieux où subsiste l’ancien château des Templiers. Si sa déposition d’Aigues-Mortes ressemble aux autres, elle se termine curieusement par l’aveu de l’adoration, après complies, d’une tête de mort, d’un homme ou d’une femme, au cours d’un chapitre provincial à Montpellier. Elle était posée sur un coffre placé au milieu des frères. Le bourreau était de toute évidence passé par là. Et c’est sans doute en raison de ces aveux que Pierre Galhardi ne fut plus interrogé par la suite. Son nom, plutôt courant dans tout le territoire, est aujourd’hui assez peu représenté dans la région.

Commanderie de Launac (www.chambres-hotes.fr)

Pierre Perrini, du convent de Saint-Gilles, exerçait la fonction de bouteiller, d’économe, à Verrencella (ou Venrella), un lieu près d’Aigues-Mortes aujourd’hui disparu. Il dit quant à lui n’avoir jamais vu d’idole dans un chapitre général à Montpellier, mais qu’il en a entendu parler. La chose dut satisfaire les commissaires car, comme P. Galhardi, il ne sera plus interrogé. Le nom de Perrin est extrêmement courant dans cette région comme partout en France.

Bernard Marquesii était le précepteur de la grange de Saint-Michel-de-Bannières, sur la commune de Castries, entre Montpellier et Lunel. Une ferme existe encore en ce lieu ainsi que d’importantes ruines près du ruisseau de Rouanis. Ce sont ces ruines qui sont désignées comme la métairie de Bannières sur la carte d’Etat-major du 19ème s. Sa déposition est notée comme identique à celle de Pierre Perrini. Lui non plus ne sera plus inquiété. Marques est un patronyme très courant dans l’Hérault, particulièrement à Montpellier.

Castries – ruines de la commanderie (www.david-merlin.com)

Pierre de Versolis du convent de Montpellier, déposa en 1307 comme les précédents et ne fut plus inquiété. Son nom peut être rapproché de Vézolles, un hameau quasiment en ruines de la commune de Malons-et-Elze, dans le Gard, à une trentaine de km au nord d’Alès. Vézolles est signalé sur la carte de Cassini.

Nazaire Boceli (ou Boteli ou Boteti), au nom quasi impossible à lire avec certitude, était lui aussi du convent de Montpellier. On apprend en 1310 qu’il était de Lunel, soit par origine, soit par affectation. Il avait été reçu dans l’Ordre en 1296 à Saint-Gilles par Barral de Grazilhano (de Saint-Césaire de Grauzignan, sur la Droude, dans le Gard), précepteur de la maison. En 1312, il ajoute à sa déposition que les frères et lui-même adoraient une tête d’homme ou de femme après les complies lors des chapitres généraux de Montpellier. Sur ces mots, il déclare abjurer ces erreurs. En 1312, comme les autres, il abjure et clame son repentir.

Raymond Fabri, du convent de Montpellier, ne se distingua pas des autres frères lors de sa déposition de 1307. En 1310, nous apprenons qu’il était originaire de Montbazens dans l’Aveyron et qu’il avait été reçu par Roncelin de Fos à Montpellier en 1280. Il avait participé à une dizaine de chapitres généraux. On y décidait des mutations et des nominations des précepteurs et des responsables des granges, mais il n’en sait pas plus. Ces aveux partiels ne pouvaient satisfaire les commissaires. L’année suivante, il abjurera tout. Curieusement, il n’est pas compté parmi les frères de 1312. Le patronyme de Fabre ou Fabri est encore aujourd’hui extrêmement courant dans tout le sud de la France.

Pierre Gosani exerçait la fonction de « preceptor cavallarie » (responsable des écuries) de la commanderie de Montpellier. Il fit les mêmes aveux que Pierre Perrini et les autres et ne reparut plus. Le patronyme Gosan a pratiquement disparu. Il n’est plus attesté, semble-t-il, qu’à Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard.

Pierre Bruni, du convent de Montpellier, était précepteur de Mansi Novi, un nom banal qui a pu donner Maison-Neuve, Mas-Neuf, Mas-Nouvel… E.-G. Léonard, le continuateur du Marquis d’Albon, corrige la situation du Mas-Neuf en le rattachant à la commune de Mireval, près de Montpellier, mais rien, à notre connaissance, ne vient confirmer cette hypothèse. Le Dictionnaire topographique de l’Hérault ne mentionne aucun toponyme de ce type. Celui du Gard, en revanche, citant Ménard, l’identifie à un lieu-dit le Mas-Neuf de la commune de Salindres, près d’Alès. Ce Mas-Neuf se situe au nord de la ville, en allant sur Saint-Julien-de-Cassagnas. On observe aussi un Mas-Nouvel à l’est et, tout proche, un Mas-du-Commandeur. Seuls le Mas-Nouvel et le Mas-Neuf apparaissent sur la carte de Cassini. Faisons confiance à l’auteur du Dictionnaire Topographique du Gard et optons pour le Mas-Neuf. Nous sommes en effet démunis face à cette incertitude, Pierre Bruni n’ayant été interrogé que cette seule fois, en 1307. Brun est un patronyme extrêmement courant sur tout le territoire.

Jacques Johannis, du convent de Montpellier, était fixé à Launac où « sequebatur, ut dixit, laborem ». Curieuse expression en effet. « Labor » signifiant souvent, en latin médiéval, le travail de la terre, ce frère était probablement le responsable des travaux agricoles de la maison. En 1307, il nie absolument l’existence d’une tête de mort, femme, homme, idole. Malgré cela, Jacques Johannis ne reparaîtra plus. Peut-être était-il décédé entre temps. Jean est un patronyme trop courant pour qu’on en tienne compte ici.

Raymond Poncii était lui aussi du convent de Montpellier. Il témoigna comme Jacques Johannis mais fut, lui, de toutes les autres sessions. En 1310, nous apprenons qu’il avait été reçu par Guigues Adhémar, jadis maître en Provence, en 1297 ou 98, dans la chapelle de Montfrin. Etaient présents Barral de Gauzignan et le précepteur d’Arles G. de la Roche. Il déclare avoir assisté à plusieurs chapitres provinciaux et parle de la consigne du secret, des comptes qu’on y rendait, des mutations qui y étaient décidées, mais nie les épisodes hérétiques. Il abjurera néanmoins « solennellement » l’année suivante et confirmera en 1312. Pons fait aussi partie des patronymes très usités dans la région.

Etienne de Clumaco, du convent de Montpellier, exerçait une fonction bien difficile à définir : « usaggerius ». Dans son Histoire critique et apologétique de l’ordre des Chevaliers du Temple, Claude Mansuet Jeune précise que ce mot a été mal compris : « cette phrase, serviens Templi usagerius (sic) conventus Montispessulani, signifie Frère servant du Temple, attaché à la maison de Montpelllier » (note p. 181). Cette tentative d’explication est cependant assez peu convaincante. « Usaggerius », cité par du Cange dans cette unique occurrence, y est considéré comme une fonction chez les Templiers sans qu’il précise laquelle. Selon le Godefroy (dictionnaire du français médiéval), l’usagier est celui qui connaît bien les usages, au sens fort de ce terme à une époque où le droit était essentiellement régi par la coutume. Le droit d’usage, par exemple, désignait le droit d’accéder à telle ou telle ressource (le bois, le pacage…) et variait d’une seigneurie à une autre. Etienne de Clumaco était-il une sorte d’expert en droit coutumier ? Nous n’aurons pas l’occasion d’en savoir davantage car il n’apparaîtra pas dans la suite du procès. Par ailleurs, nous n’avons pu identifier Clumaco ni comme lieu ni comme patronyme.

Bernard Alusquerii, du convent de Montpellier, exerçait la fonction de bouteiller ou d’économe à Bannières. Lui non plus n’apparaîtra pas au cours des autres interrogatoires. Alusquerii a survécu sous la forme Auquier dans la région.

Saint-Michel de Bannières – ruines de la commanderie (templierveritas.patrimoine-de-France.com)

Jacques Galhardi est cité sans aucune précision parmi les Templiers interrogés en 1307 et n’apparaîtra plus. Etait-il apparenté au précepteur de Launac ? On le retrouve cependant à Paris où il a été transféré le 10 février 1310, puis le 14 mars suivant dans la liste des Templiers volontaires pour défendre l’Ordre, et enfin Le 28 lors se la grande réunion au jardin de l’évêché. Nous ignorons s’il a fait une déposition, Michelet n’en faisant pas mention.

Bernard Bernardi appartenait au convent de Montpellier. Lui aussi n’a témoigné qu’en 1307. Son nom est si courant qu’il serait vain de s’y attarder.

Bernard Raimundi, du convent de Montpellier, était le précepteur de Castries, commune sur laquelle se trouvait Saint-Michel-de-Bannières. Il faut croire qu’il y avait aussi une maison à Castries même puisque le commandeur de Bannières, lui-même interrogé à Aigues-Mortes, était à l’époque Bernard Marquesii. Il existe encore à Castries une impasse des Chevaliers. Cette désignation correspond-elle à l’histoire locale ? Quoi qu’il en soit, Bernard Raimundi de reparaîtra plus dans la suite du procès et son nom, trop courant, n’apporte rien.

Raymond Sagerii, prêtre de l’Ordre, sera le dernier à affronter les commissaires d’Aigues-Mortes. Il avait été reçu par Pons de Brozet, maître en Provence. Il parle naturellement du problème de la consécration de l’hostie, reconnaissant qu’on lui enjoignait de ne pas prononcer les paroles rituelles, mais ajoutant qu’il les prononçait « dans son cœur ». Sa déposition de 1310, très longue, nous apprend d’abord qu’il était originaire de « Bellesgaria » (Bellegarde entre Arles et Saint-Gilles, où existe encore le Moulin du Temple, sur le Rieu). Sa réception avait eu lieu à Montpellier en 1291 ou 92, en présence du précepteur d’alors, Pierre Alamandini, du chapelain Bernard Ajudadieu, et d’autres frères. Il assista à une dizaine de chapitres généraux mais nie savoir quoi que ce soit concernant un chat, des corbeaux, une tête de mort ou une idole, et le confirme lorsqu’on le lui demande à nouveau, en fin de déposition. En 1311, on l’interroge de nouveau sur la consécration des hosties et il confirme sa déposition de 1307. Il maintient aussi n’avoir pas connaissance de la présence dune idole quelconque au cours des chapitres auxquels il a assisté. Il abjure donc toutes les erreurs sauf celles-ci. En 1312, il maintiendra ses déclarations sur la consécration jusqu’au bout, mais abjurera tout le reste.

Ce lundi 11 novembre se termina donc par la récapitulation des aveux. Lecture fut faite en langue vulgaire aux prisonniers de leurs dépositions, lesquels les confirmèrent tout en insistant sur le fait qu’ils n’avaient jamais trahi dans leur cœur l’Eglise catholique romaine.

16 novembre 1307 (Nîmes)

Le 16 novembre, Oudard de Maubuisson se transporta à Nîmes où les audiences allaient reprendre dans une salle du palais royal. 14 Templiers furent présentés dans la journée : 8 du convent de Saint-Gilles, qui comparurent en premier, 4 du convent du Puy qui comparurent ensuite et enfin 2 du convent de Jalès. Parmi les prisonniers, ni chevaliers ni prêtres mais 4 précepteurs de maisons : P. de Castello-Bono, précepteur de Montfrin, J. de Tréviers, précepteur de Saint-Pierre-de-Bellegarde, P. Jubini, précepteur d’Argence, et P. Piscini, précepteur de Bellegarde.

Pons de Castello Bono, du convent de Saint-Gilles, occupait la fonction de précepteur de Montfrin. L’hôtel de la commanderie se trouve encore dans la rue des Templiers et l’avenue Pierre Mendès-France, à l’est de la ville. Sa déposition, détaillée, retrace sa réception et passe en revue les chefs d’accusations essentiels sans rien apporter de particulier. Reste qu’il nie absolument l’adoration d’une idole et ne sait rien sur les paroles de la consécration. En 1310, il réitère quasiment mot pour mot la précédente déposition et lorsque les commissaires lui redemandent s’il n’a rien à ajouter ou modifier, il persiste, confiant dans le fait qu’il est « un fidèle chrétien, décidé à vivre et à mourir dans la foi catholique ». En 1311, il finit par se conformer aux autres témoignages et par abjurer « tamen nunc », « maintenant malgré tout », ce qui en dit long sur la résistance qu’il a dû opposer. En 1312, il a capitulé comme les autres. Nous ignorons d’où vient ce nom de « Castello Bono ». Le Château-Bon d’aujourd’hui, un quartier en bordure ouest de Montpellier, est un faux-ami. Il tire son nom d’un certain Philibert de Bon qui s’y fit construire une demeure de plaisance au début du 18ème s. La carte de Cassini le mentionne en effet en tant que « Château de Bon », ce qui se réduira par la suite en « Château Bon ». Il n’existe naturellement aucun patronyme de ce type.

Montfrin (www.montfrin.com)

Jean de Tréviers, du convent de Saint-Gilles, était le précepteur de Bellegarde, entre Beaucaire et Saint-Gilles. Sa déposition de 1307 reprend celle de Pons de Castello Bono. Il ne paraîtra plus par la suite. C’est ce frère qu’on retrouve sous le nom de J. de Tribus Viis, du diocèse de Maguelone, lors de son transfert à Paris le 10 février 1310, puis le 14 mars parmi ceux qui se sont déclarés volontaires pour défendre l’Ordre, et enfin le 28 mars au jardin de l’évêché. On n’a de lui aucune déposition. Tréviers est une localité au nord de Montpellier qui fait partie aujourd’hui de la commune de Saint-Mathieu-de-Tréviers.

Pierre Jubini, du convent de Saint-Gilles, occupait la fonction de précepteur d’Argence. « La terre d’Argence, donnée à Raymond de Saint-Gilles par l’archevêque d’Arles en 1075, comprenait la portion de l’archidiocèse d’Arles qui est à la droite du Rhône » (Dictionnaire Topographique du Gard). C’est la plaine de Beaucaire. On distingue le Petit-Argence et le Grand-Argence sur la commune de Fourques, à la limite entre le Gard et les Bouches-du-Rhône. Les deux sont notés sur la carte de Cassini comme sur la carte d’Etat-major du 19ème s. Aujourd’hui, l’IGN montre un troisième bâtiment situé entre les deux, le Mas d’Argence, une ferme devenue gîte rural, placée exactement à l’endroit où se trouvait sur les cartes précédentes le Petit-Argence… Les Templiers et les Hospitaliers furent au milieu du 12ème s. bénéficiaires de donations sur la terre d’Argence, de sorte que, en 1313, lorsque les biens du Temple furent dévolus à l’Hôpital, Saint-Gilles rassembla la totalité du domaine. Dès lors, c’est le Petit-Argence qui deviendra commanderie alors que le Grand-Argence restera métairie au sein du Grand Prieuré de Malte de Saint-Gilles. Sur l’historique de cette commanderie, on consultera avec grand profit le document intitulé Commanderie d’Argence réalisé par Philippe Ritter et Georges Mathon en ligne sur le site www.nemausensis.com. Pour revenir à notre sujet, la déposition de Pierre Jubini reprend celle de ses deux prédécesseurs. Il ne comparaîtra plus. La patronyme Jubin quoique très rare, est encore attesté dans l’Hérault.

Pons Bordici était le « preceptor porcorum », le responsable des porcs à Saint-Gilles. Après sa comparution à Aigues-Mortes, on n’entend plus parler de lui. Son nom, sous la forme Bourdi ou Bourdic, est très rare mais encore attesté dans la région de Nîmes et, au nord du département, à La Roque-sur-Cèze, ainsi que du côté de Lunel dans l’Hérault.

Pons Piscini, du convent de Saint-Gilles, était le précepteur de Bellegarde, ce qui signifie qu’il y avait deux maisons à cet endroit : Saint-Pierre-de-Bellegarde, avec pour précepteur Jean de Tréviers, et Bellegarde, avec pour précepteur Pons Piscini. Nous n’avons trouvé trace nulle part de cette maison de Saint-Pierre mais il existe encore aujourd’hui au nord de Bellegarde, entre L’Enfer et Le Paradis (cela ne s’invente pas…), un chemin de Saint-Pierre qui traverse un endroit très remanié. Peut-être l’ancienne maison se situait-elle à cet endroit ? La déposition du frère Piscini est semblable à celle des précédents. Lui non plus n’apparaîtra plus dans la suite du procès. Il est en effet transféré à Paris le 10 février 1310 sous le nom de P. Pisani, qui est sans doute une meilleure lecture que Piscini. On le retrouve le 14 mars suivant parmi les Templiers volontaires pour défendre l’Ordre, puis le 28 mars au jardin de l’évêché. Le nom de Poisson, sans être fréquent, est encore bien présent dans les deux départements. De même pour Pisani.

Pierre de Bello Visu, du convent de Saint-Gilles, était le bouteiller (économe) de Bellegarde. Il ne parlera pas différemment et, lui aussi, ne comparaîtra plus. Il n’y a aujourd’hui que quelques Beauvoir dans le Gard et dans l’Hérault.

G. Bres, du convent de Saint-Gilles, exerçait en tant que bouteiller d’Argence. Son histoire rejoint celle des précédents. On n’en entendra plus parler. Bres est un nom répandu dans le Gard, un peu moins dans l’Hérault.

Bernard Ymberti, du convent de Saint-Gilles, était le bouteiller de Saint-Pierre-de-Bellegarde, comme le frère de Bello Visu l’était de Bellegarde, une preuve de plus qu’il existait deux maisons distinctes. Nous ne saurons rien de plus sur ce frère qui n’apparaîtra plus. Son nom, orthographié le plus souvent Imbert, est répandu dans les deux départements.

Guillaume de Saint-Just, lieutenant du sénéchal, quitta la séance. On fit ensuite venir les 7 derniers Templiers. Cinq d’entre eux appartenaient au convent du Puy, les deux autres au convent de Jalès.

Pierre Chalendoni appartenait au convent du Puy, Chassaing le donne comme attaché à la commanderie Saint-Barthélémy du Puy. Il fut le premier à comparaître. Sa déposition de 1307 reprend celle de Pons de Castello Bono. On le retrouve néanmoins en 1310 et sa nouvelle déposition nous apprend en particulier qu’il était originaire d’un manse appelé Lhaon, près de Lyon, que nous n’avons pu identifier, et qu’il a été reçu au Puy dans les années 1280 par le précepteur de la commanderie, Jean de Cereys. Détail curieux en fin de déposition, c’est « quasi trepidendo », presque en tremblant, qu’il insiste sur le fait qu’on l’a obligé à taire les secrets de l’Ordre sous peine d’excommunication, mais aussitôt après, « balbuciendo et verba intricate proferendo », balbutiant et bafouillant, il affirme le contraire. On imagine l’ambiance qui régnait dans ces auditions et la terreur générée par les tortures subies ou à venir. A Alès, en 1311, il reconnaît tout et abjure les erreurs, ce qu’il confirmera en 1312. Chalendon est un nom assez courant au nord de Saint-Etienne.

Guiraud Cellarii (ou Cellararii), du convent du Puy, appartenait lui aussi, selon Chassaing, à la commanderie Saint-Barthélémy de la ville. Il fait la même déposition que le précédent. En 1310, il précise qu’il a été reçu vers 1298 au Puy par le précepteur Bernard de la Roche en présence, entre autres, de Pierre Chalendoni. Poussé dans ses retranchements par les commissaires, il demeure cependant modéré dans ses réponses. Un curieux épisode clôt sa déposition : on lui demande si on lui a déjà posé des questions sur les secrets de l’Ordre, et il répond que oui, à Nîmes, en présence d’Oudard de Maubuisson, celui-là même qui l’interroge à présent. Curieuse question, curieuse réponse. En 1311, il abjure et confirme en 1312. Cellerier est un nom assez peu courant dans cette région aujourd’hui.

Mathieu Bigorre (ou de Bigorre), du convent et de la commanderie du Puy, selon Chassaing, déposa en 1307 dans les mêmes termes que ses prédécesseurs. Nous apprenons par l’audition de 1310 qu’il a été reçu il y a « plus ou moins deux ans » au Puy par Barral, le précepteur. La date est ambiguë. S’il compte à partir de juillet 1310, date de la déposition, il a été reçu juste avant l’arrestation, auquel cas il aurait sans doute mentionné la chose. Il est plus probable qu’il ait compté à partir du début de l’incarcération, ce qui place sa réception entre 1304 et 1306. Sa déposition est quasi semblable aux précédentes. Chose curieuse, à l’instar de Guillaume Chalendoni, il parle à la fin « titubando et quasi tremendo », titubant et quasi tremblant. Un malaise collectif ? Ou les excès de l’inquisiteur ? Malgré cela, il persiste à nier ce qui concerne la consécration et l’idole. En 1311, il abjure et confirme en 1312. Pour ce qui concerne son patronyme, il existe encore quelques Bigorre à Nîmes et du côté de Montpellier, mais aucun du côté du Puy.

Marc Bonetonis, du convent du Puy, relevait lui aussi de la commanderie Saint-Barthélémy selon Chassaing. Il fait la même déposition que les autres en 1307. En 1310, il déclare être originaire du Puy. Il a été reçu vers 1295 dans l’église du Temple de la ville par le Maître des maisons du Temple en Provence, Pons de Brozet. Sa déposition rejoint les précédentes, sinon qu’il précise à la fin qu’il n’a été « ni soumis à la question ni torturé de quelque manière ». De quels bourreaux parle-t-il ? Dans quelles circonstances ? Son interrogatoire de 1311 se clôt de façon très curieuse par ses supplications réitérées et empreintes de pathos pour revenir dans le sein de l’Eglise qu’il n’a jamais, pour lui, quitté. Est-ce pour cela qu’il n’apparaîtra pas dans le jugement final de 1312 ? Marc Bonetonis venait du Puy-en-Velay. Ce patronyme, Bonneton, est encore attesté dans la ville.

Jean Pellicerii, du convent et de la commanderie du Puy selon la Cartulaire de Chassaing, fait les mêmes déclarations que ses prédécesseurs en 1307. En 1310, il situe la date de sa réception vers 1299, peut-être avant, au Puy, par Roncelin de Fos. Il a assisté par la suite à une bonne dizaine de réceptions et toutes suivaient le même modèle. En 1311, il abjure les erreurs de l’Ordre, ce qu’il confirme en 1312. Les Pélissier sont encore assez nombreux en Haute-Loire.

Pierre Mala (ou de Petra Mala) était du convent de Jalès. Il comparut en 1307 comme les autres et sa déposition n’est que signalée. En 1310, on apprend qu’il était originaire du Château d’Allègre au diocèse d’Uzès. Ce château, sur la commune d’Allègre-les-Fumades dans le Gard, est aujourd’hui totalement en ruines. Pierre de Peyremale comptait sans doute parmi les plus anciens Templiers du groupe. Il avait été reçu vers 1265 par Pons Nielli, chevalier, alors précepteur de Jalès. Sa déposition est courte. Il nie la plupart des chefs d’accusation. Sa déposition de 1311 sort de l’ordinaire. Il abjure les erreurs mais en même temps il réclame qu’on agisse envers lui avec miséricorde parce qu’il est « simplex » et n’était que gardien de porcs. Après cet épisode particulier, le scribe ajoute une phrase aux termes de laquelle Pierre de Peyrmale aurait été reçu dans l’Ordre par Pons de Brozet. Il ne s’agit pas d’une erreur de transcription, vérification faite sur le manuscrit Baluze, à moins que ce dernier ne soit déjà fautif. On ne sait qu’en penser. Quoi qu’il en soit, il abjurera définitivement comme les autres en 1312. Le nom de ce frère est sans doute lié à Peyremale, qui se situe dans le Rouergue Gardois. En tant que patronyme, Peyremale semble avoir totalement disparu.

Dorsieiras (Jean d’Urseria) sera le dernier Templier à être entendu lors de ce procès de 1307. Il s’agit selon toute probabilité de Jean d’Urseria que l’on retrouve sous ce nom dans les autres phases de l’enquête. C’était un servant du convent de Jalès. Le compte rendu de sa déposition de 1307 ne nous apprend rien. Par celle de 1310, nous apprenons qu’il occupe la double fonction de précepteur de la grange de Gros-Fau et de responsable du cheptel ovin de Jalès. Il a été reçu vers 1295-1297 à Jalès par Pons de Brozet, qui assumait alors la fonction de maître de l’Ordre en Provence et dans les régions cismarines. Détail curieux dans sa déposition : il avoue, « magnum suspirium emittendo », avec un grand soupir, qu’il a dû porter la cordelière par-dessus la chemise y compris la nuit et qu’il avait lui-même acheté cette cordelière. Si encore il avait avoué, comme on le lui demandait, que cette cordelière avait été mise en contact avec l’idole, on pourrait comprendre son attitude, mais cet aveu tel qu’il est rapporté ne mérite pas tant de contrition. L’année suivante, il abjure les erreurs de l’Ordre, ce qu’il confirme en 1312. Il existe deux villages du nom d’Orsières, dans la région d’Entraygue-sur-Truyère, dans l’Aveyron, à moins qu’il ne s’agisse d’Orcières en Lozère. En tant que patronyme, ce nom semble ne pas, ou ne plus, exister sinon, très rarement, sous la forme Dosière.

17 novembre 1307

La clôture officielle de ce premier procès des Templiers de la sénéchaussée de Beaucaire eut lieu le 17 novembre dans le solar de la cour royale de Nîmes. Le solar était généralement la plus belle pièce, celle qui servait à recevoir ou aux réunions. Son nom vient de ce qu’elle était située à l’étage et recevait de ce fait davantage de lumière. Seront témoins : Pierre Jean, docteur ès-lois, Pierre Robaud, juge royal d’Alès, maître Mathieu de Mantine, procurateur royal, Gauvain Bon-et-Bel, valet du roi, le vicaire de Nîmes et nobles seigneurs Nicolas Vilette, châtelain de Beaucaire, et Bernard de Languissel, chevaliers, Pierre d’Auriac, sous-vicaire de Nîmes, Georges Bon-et-Bel, valet du roi, Bernard de Chanaleilles, lieutenant du bailli du Velay, Guillaume du Castelet, vicaire et châtelain du château royal d’Alès, ainsi que le notaire chargé de la rédaction de l’acte, Pons de Caune, qui précise avoir été présent lors de toutes les audiences et avoir agi sur ordre de l’inquisiteur G. de Saint-Laurent.

 Le procès d’Alès (1310 – 1311 – 1312)

24 juin – 3 juillet 1310 : l’enquête

C’est à la mi-juin que la commission d’enquête s’installe à Alès pour une première session. L’évêque Bertrand de Languissel s’étant retiré fin 1309, délégua ses fonctions à l’inquisiteur Guillaume de Saint-Laurent, curé de Durfort et jurisconsulte.

Les minutes de ces dépositions, transcrites dans le manuscrit Baluze, sont en ordre dispersé, sans doute en raison de parchemins cousus sans soin. Une étude attentive et le recours à Ménard permettent de rétablir tant bien que mal le déroulement du procès.

Dix-sept frères déjà interrogés à Aigues-Mortes seront de nouveau mis sur la sellette, de même que six de ceux qui avaient déposé à Nîmes. Huit Templiers, sans doute incarcérés depuis le début au donjon royal d’Alès, apparaissent : G. Brunelli, P. de Mota, P. Seguerii, G. Bachonis, R. Corrigie, le frère Tardini, P. Armandi et Drohet de Paris. En tout, 32 frères seront interrogés lors de cette session. Pour l’audience, on leur a ôté les fers qui les entravaient dans leur cellule. Ils prêtent serment de dire la vérité On leur pose aussi la question de savoir s’ils ont déjà été interrogés sur cette affaire « par le seigneur Pape, son commissaire, l’inquisiteur de l’hérésie pour la France nommé par le siège apostolique, le commissaire ou les commissaires délégué(s) ». La question surprend un peu mais elle a été posée en préalable à tous les Templiers lors de cette session. Aucune abjuration n’a été requise. On cherche des aveux afin de nourrir l’accusation.

Guillaume Brunelli, le premier des frères d’Alès à comparaître, déclare avoir été reçu dans l’Ordre par le frère Barral, lieutenant du maître de Provence. Il dit avoir été pris alors qu’il s’était enfui en habit civil tandis que les autres se faisaient arrêter. Il ajoute aussi, à la fin de sa déposition, qu’un des frères était un jour parti avec de l’argent, qu’il avait été repris à Aigues-Mortes et qu’il avait été condamné par l’Ordre à la prison à vie. Guillaume Brunelli semble avoir eu quelque difficulté à s’exprimer. Il a fallu, mais il était loin d’être le seul, lui traduire l’accusation en langue vulgaire, mais surtout il emploie dans sa déposition une expression probablement occitane « a veguda (vel) non a veguda », que nous n’avons pas réussi à traduire en français. Peut-être a-t-elle été mal transcrite par le scribe. En 1311, nous apprenons seulement qu’il était de Vauvert, à l’ouest de Saint-Gilles, une étape sur le chemin de Compostelle. Il abjure comme les autres et confirme en 1312. Brunel est un patronyme très courant.

Pierre de Mota était originaire de Rabastens en Albigeois, où le patronyme « Motte », diversement orthographié, perdure encore. Il avait été reçu dans l’Ordre en 1295 à Saint-Gilles par Pons de Brozet. En 1310 ; il nie quasiment tout, hormis le fait que celui qui tenait le chapitre absolvait les frères de leurs manquements. En 1311, il abjure comme les autres et confirme en 1312.

Pons Seguerii est dit de « Caus ». Il s’agit probablement de Caux, dans l’Hérault, près de Pézenas, où vivent encore quelques familles porteuses du patronyme Séguier. Pons Seguerii déclare avoir été reçu dans l’Ordre à Sainte-Eulalie au Larzac, en 1260-65, par Roncelin de Fos. Le précepteur de la maison, Pierre Raimundi, était présent. Il nie tout ou presque. Il déclare avoir été présents lors de plusieurs chapitres généraux, tant à Montpellier qu’à Saint-Gilles. Ceux-ci débutaient peu après minuit. Le sermon était prononcé par un religieux d’un autre ordre qui se retirait ensuite. On fermait alors les portes où se postaient des gardiens. Le chapitre proprement dit se tenait entre membres de l’Ordre. On y rendait les comptes, on y annonçait les mutations de précepteurs ou de frères, on y prenait toutes sortes de dispositions concernant les affaires de l’Ordre. Un secret total était requis. Quant aux paroles de la consécration, il ne sait rien. Et pour l’idole, quelle qu’elle soit, il n’en a jamais entendu parler. Cette déposition est un vrai modèle : de la description mais finalement peu d’informations sur les points litigieux. L’audition de 1311 nous apprend un fait nouveau : Pons Seguerii était chevalier. Pour sa déposition, il n’y change rien mais abjure les erreurs reconnues. Curieusement, il ne sera pas présent à la convocation de 1312.

Guillaume Bachonis (ou Baconis) a été reçu dans l’Ordre à la maison de Broliis par Pons de Brozet en 1290-92. Il s‘agit sans doute de la commanderie de Brulhes, appelée aussi le Temple-sur-Lot dans le Lot-et-Garonne. Ce frère a lui-même assisté à deux réceptions à Arles mais n’a jamais participé à aucun chapitre provincial. Sa déposition de 1310, très détaillée, n’apporte rien de particulier. En 1311, on apprend seulement qu’il était de Cahors. Il abjure les erreurs commises dans l’Ordre, ce qu’il confirme l’année suivante. Le patronyme Bacon n’existe plus dans cette région. En revanche, il est présent dans le Gard, dans l’Hérault, dans la Haute-Loire.

Raymond Corrigie fut le premier à être interrogé en 1310, le 25 juin. Il avait été reçu en 1303 par Guigues Adhémar à Saint-Gilles. Guillaume de la Roche, le précepteur, était là. Il déclare n’avoir encore jamais été interrogé et n’avoir subi aucune torture. Le reste de sa déposition n’a rien de particulier. Il abjurera en 1311 et confirmera l’année suivante. Ce patronyme est encore présent dans toute la région, du Puy à Montpellier, sous la forme Corriger.

Jean Tardini avait un surnom : Brancha. Branche est encore attesté en tant que patronyme. Tardin a pratiquement disparu. Ce frère vécut longtemps à la grange de Peyroles près du château d’Allègre, au diocèse d’Uzès. La Société scientifique et littéraire d’Alais, dans un article de 1872 que nous n’avons pu consulter, situe la grange « au pied du Serre d’Allègre ». La ferme et le moulin figurent sur la carte IGN actuelle près de la commune de Boisson, sur l’Auzon, à la hauteur du Pont du même nom. Sa déposition de 1310 est une longue succession de « negavit », il nia. Les articles de l’accusation s’égrènent ainsi sans autre commentaire jusqu’au moment fatal : « hoc salvo tamen », excepté… les secrets de l’Ordre, que « personne au monde n’aurait osé révéler » sous peine de prison (mais pas de mort, ajoute-t-il), la cordelière dont il ignore si elle a ou non été mise en contact avec une idole, cette idole-même dont il ne sait rien et qu’il n’a personnellement jamais vue. Pour ce qui le concerne, Jean Tardini déclare avoir été reçu vers 1294 à Richerenches, dans le Vaucluse, par Pons de Brozet qui était alors précepteur de Saint-Gilles. Au cours de sa réception, il nia avoir été contraint d’abjurer « le Crucifié, Dieu et Jésus » et le fait qu’il ait été un faux-prophète, ainsi que le crachement sur la croix. Les commissaires lui demandent alors s’il a jamais avoué ces choses devant le juge ecclésiastique de l’évêque de Nîmes à Alès, aveux pris en notes par un certain Jean de Gii. Il répond que non. Pour prouver son mensonge, on brandit les notes en question, attestées par quatre personnes. La seule chose que reconnaîtra Jean Tardini, c’est qu’aussitôt reçu, un Templier devenait profès, sans passer par un quelconque noviciat ni postulat. Ainsi se termine cette confrontation musclée, qui témoigne de la loyauté et du courage exemplaires de ce Templier. L’année suivante, on observe un revirement complet : il abjure. On peut se demander quel prix ajouter à cette déclaration compte tenu du fait qu’il déclare en même temps que sa réception a eu lieu en 1299 ! Et en 1312, sans surprise, il réitère son abjuration.

Pons Armandi (ou Arimandi) : c’est de ce frère dont nous évoquions le nom plus haut à propos de P. Arnaudi, les deux n’étant peut-être qu’une seule personne dans l’hypothèse d’une erreur de lecture ou de transcription. Quoi qu’il en soit, le frère Ar(i)mandi était d’Aimargues dans le Gard, près de Lunel. Il avait été reçu en 1305 à Montpellier par Guigues Adhémar au cours d’un chapitre général. Il n’était pas rare en effet que des réceptions aient lieu à l’occasion de grandes réunions, chapitres généraux mais aussi provinciaux. Lui-même eut l’occasion d’assister à deux de ces chapitres à Montpellier. « Bonum et honestum », tels sont les qualificatifs qu’il emploie. Son rôle à lui était de fournir les repas. Pour ce qui concerne l’idole, il nie tout. En 1311, néanmoins, il abjure comme les autres. Il n’apparaîtra pas en 1312. En tant que patronyme, Armand est très répandu dans la région. La forme Arimand n’a pas été trouvée.

Drohet de Parisius n’apparaît qu’en 1310. Il avait été reçu à la grange de Moulins par le responsable de la maison, un certain Jean de Cinus, mais ses souvenirs sont très vagues. Horrifié par le reniement qu’on l’a obligé à faire, il s’en est confessé à un Frère Mineur de Paris qui était son parent quelques jours après. Ce dernier lui donna une pénitence et le persuada de quitter l’Ordre, ce qu’il fit. Il ne connaît donc aucun des secrets de l’Ordre en dehors du reniement. Il a été arrêté par Odoard de Maubuisson alors qu’il ne faisait plus partie de l’Ordre et qu’il était en habit séculier. Il réclame donc de n’être pas poursuivi comme les Templiers « qui sont des hérétiques » et qu’il a en abomination. Nous ne saurons pas ce qu’il advint de cet ex-frère qui ne comparut plus par la suite.

septembre 1311 : les premières abjurations

Les Templiers sont extraits de la Tour du Roi où ils sont détenus pour comparaître devant Guillaume de Saint-Laurent et six commissaires volontaires : Pons Ymbert, prieur de Saint-Germain près d’Alès, Pons Ymbert, son neveu, chanoine de Nîmes, Raymond Roxendis, le gardien des Frères Mineurs, Jean Chatbaudi, franciscain, Raymond Girard et Bernard de la Tour, dominicains. On a convoqué 29 frères dont les déclarations n’ont pas été jugées suffisantes ou qui sont revenus sur leurs aveux. Il est revenu aux oreilles de l’inquisiteur que les frères, en prison, s’étaient entendus entre eux pour nier devant lui ce qu’ils avaient reconnu devant d’autres commissaires. Il cite expressément quelques noms : Bertrand Arnaudi, Pierre Tholosa, Drohet de Parisius, parmi d’autres. Il a ordonné que Raymond Sagerii, le seul frère prêtre, soit mis à la torture « modérément » et annonce que tous ceux qui agiront de même seront torturés « pro eruenda veritate », pour arracher la vérité. Il s’agit, comme l’écrit le scribe avec une délicatesse louable, « causa complende inquisitionis » d’un complément d’enquête. On comprend que dans de telles conditions, les Templiers aient abjuré.

novembre 1312 : les dernières comparutions

Le Concile de Vienne s’est clos sur la suppression de l’Ordre du Temple. Les commissaires sont réunis dans les locaux du presbytère de l’église d’Alès. Le scribe donne lecture de la lettre du pape du 25 octobre qui stipule officiellement que les Templiers qui auront avoué seront absous et pourront recevoir les sacrements. L’évêque de Nîmes, Bertrand de Languissel, a relayé l’information le 7 novembre.

La commission va donc rassembler une dernière fois les prisonniers dans la grande salle du château le 8 novembre 1312. Ils sont 22. Tous seront présentés le même jour. Les minutes sont lapidaires. La terminologie a changé : parfois les frères sont qualifiés d’« olim », « jadis, anciennement », parfois c’est l’Ordre. Ce jour-là, pas d’interrogatoire. Les Templiers défilent les uns après les autres. On n’en est plus à chercher à connaître le contenu des aveux. La seule question est : avouent-ils ou non ? On leur lit leur dernière déposition, ils confirment, regrettent, battent leur coulpe, pleurent sur les erreurs et hérésies commises lors de leur réception et dans l’Ordre en général. Ils promettent de demeurer dans l’Eglise, de lui obéir ainsi qu’à ses représentants. Et pour conclure, ils réitèrent leur abjuration. C’est fini.

Guillaume de Saint-Laurent, sous l’autorité de l’évêque et du Pape, lève la sentence d’excommunication qui pesait sur eux, les réintégrant ainsi dans la communion des fidèles. La pénitence a été laissée à son appréciation. On ne saura pas quel sort il leur a réservé. Les plus récalcitrants sont probablement condamnés « au mur perpétuel », la prison à vie. La plupart intègreront d’autres ordres. Quelques-uns abandonneront l’état religieux, certains même se marieront. Mais pour nous, les frères de la sénéchaussée de Beaucaire disparaissent purement et simplement dans le silence d’une histoire non écrite.

Les Templiers de la sénéchaussée de Beaucaire transférés à Paris

Les minutes du procès de Paris transcrites par l’équipe de J. Michelet mentionnent plusieurs noms de Templiers issus de la sénéchaussée qui ont été transférés à Paris le 10 février 1310 pour le grand procès. Certains d’entre ont déjà été signalés plus haut pour avoir déposé en 1307.

depuis le diocèse de Nîmes

  • Pierre Gibellini (transféré le 13 février 1310 depuis la sénéchaussée de Carcassonne) Aucune déposition.
  • Pons Tortossa (id.) Il fut détenu à Paris rue Richard des Poulies dans le quartier du Temple avec 46 autres frères. Aucune déposition.
  • Pierre d’Agusano (id.) Aucune déposition.
  • Jean de Tréviers (id.) Aucune déposition.
  • Pons Piscini (id.) Aucune déposition.

depuis le diocèse d’Uzès

  • Etienne Saurini (transféré le 13 février 1310 depuis la sénéchaussée de Carcassonne) Aucune déposition.

depuis le diocèse du Puy

  • Bertrand de Moleta (transféré le 13 février 1310 depuis la sénéchaussée de Carcassonne) Aucune déposition.
  • Pons de Malo Passu (transféré le 6 février 1310). Volontaire pour défendre l’Ordre. Aucune déposition.
  • Guigues de Roquetaillade, prêtre, précepteur de la commanderie de Brulhe (appelée aussi Le Temple-sur-Lot) au diocèse de Rodez. Déposition (Michelet II pp. 151-156)

depuis le diocèse de Maguelone (Montpellier)

  • Jacques Galhardi (transféré le 13 février 1310 depuis la sénéchaussée de Carcassonne). Aucune déposition.

Le cas d’Albert de Canellis

(Ménard p. 202 - Michelet I 424 sqq)

Albert de Canellis était un chevalier lombard d’Acqui Terme dans la province de Milan qui assumait la fonction de précepteur de la baillie de Sicile après avoir été huissier en chef du pape Benoît XI. Il avait été reçu vers 1302 à Asti par l’ancien précepteur de Lombardie Guillaume de Canellis, chevalier.

Il avait été transféré à Paris depuis Nîmes le 10 février 1310 avec les précédents. Là-bas en effet, il était intervenu lors de la déposition de Bernard de Selgues, qui disait ne rien savoir au sujet des hosties consacrées ou non, pour témoigner du fait que, lorsqu’il communiait, il savait bien, lui, qu’il s’agissait d’une hostie blanche, non consacrée.

Il avait 32 ans quand il comparut le mercredi 20 janvier 1311 à l’hôtel de l’abbé de Fismes. Il s’était rasé la barbe et avait quitté le manteau de l’Ordre, disant qu’il avait reçu ce manteau de l’Eglise et qu’à présent il le lui rendait. Il exprima son incompréhension devant le fait qu’il soit encore inquiété malgré sa confession devant les évêques du Puy, de Maguelone et de Nevers et bien qu’il eût reçu d’eux l’absolution.

Il ne pouvait répondre à certaines questions, n’ayant jamais assisté à aucune réception, mais pouvait seulement supposer qu’elles se passaient toutes comme la sienne, qu’il décrivit en détails, jusqu’au moment du reniement et du crachement sur la croix. « Comme le témoin disait qu’il ne ferait jamais cela, le frère Garin posa une main sur son poignard et l’autre sur l’épaule du témoin, faisant le geste de l’égorger et de le jeter dans les latrines qui se trouvaient à côté s’il ne s’exécutait pas… » Un peu plus loin, comme il refusait les attouchements, l’assistant dit au du frère Garin : « Laissez-le moi ! Il va faire ce que je veux. » Alors il entraîna le témoin dans un angle de la pièce, et souleva un peu son manteau et sa tunique…

Étrange parcours que celui de ce Templier qui fut si proche du chef de l’Eglise et néanmoins capable de telles outrances dans son témoignage. Le pouvoir de l’inquisition y fut sans doute pour beaucoup.

Eléments de bibliographie

Baluze : Bulles de papes. Procès des Templiers. II, ms 396. Disponible en ligne sur Gallica.

Michelet : Procès des Templiers (vol. I et II), éd. du CTHS, Paris 1987. Disponible en ligne sur Gallica.

Raynouard : Lettre concernant l’interrogatoire de Beaucaire in Procès et condamnation des Templiers, Paris 1805 (pp 72-76). Disponible en ligne sur books.google.fr.

A. Chassaing : Cartulaire des Templiers du Puy-en-Velay, 1882 (reprint Kessinger Publishing, 2010). Disponible en ligne sur books.google.fr.

L. Ménard : Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes avec les preuves, Paris 1744. Disponible en ligne sur Gallica.

D. Carraz : L’Ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312), Presses Universitaires de Lyon 2005.

E. Bonnet : Les Maisons de l’Ordre du Temple dans le Languedoc méditerranéen, in Cahiers d’Histoire et d’Archéologie, t. VII, Nîmes 1934 (pp. 513-525). Disponible en ligne sur Gallica.

Jean Raybaud : Histoire des Grands Prieurs et du Grand Prieuré de Saint-Gilles (t. 1-3), Nîmes 1904-1905-1906. Disponible en ligne sur Gallica.

abbé C. Nicolas : Histoire des Grands-Prieurs et du Grand Prieuré de Saint-Gilles de 1761 à 1806 faisant suite au ms de Jean Raybaud, in Mémoires de l’Académie de Nîmes 1906. Disponible en ligne sur Gallica.

Ph. Ritter & G. Mathon : commanderie du Grand-Prieuré de Saint-Gilles. Disponible sur www.nemausensis.com.

L’excellent site : www.templiers.net