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Rassembler ce qui est épars

L’objet final de l’initiation, c’est le retour à l’unité. Cela signifie trois choses : que l’unité préexiste, qu’elle existera de nouveau, mais qu’elle n’existe plus ici et maintenant. L’initié est celui à qui est transmise la capacité de revenir à l’unité.

Si l’Ordre du Temple est, même si nos connaissances en la matière sont très incomplètes, un ordre véritablement initiatique, il doit, d’une manière ou d’une autre, illustrer cette quête de l’un à travers le multiple.

1198 - première charte connue de la commanderie de Bourgoult en Normandie (A.N.)

1118-1127 : Maturation

Rassembler ce qui est épars. La manière dont l’Ordre, au Moyen-Age, a commencé à œuvrer est bien significative de cet état d’esprit. A l’origine, une multitude d’hommes, chevaliers ou non, qui n’ont au départ rien de plus en commun que d’être venus là, au-delà des mers, mus par un idéal qui puise ses racines dans le vécu de chacun et qui a trouvé une forme commune dans l’engagement de la croisade. Dans un deuxième temps, parmi ces hommes venus d’Europe, un chevalier, Hugues de Payns, son compagnon, Geoffroy de Saint-Omer, puis sept autres : neuf individualités différentes au sein du grand corps des Croisés que la forme commune de l’engagement ne satisfait pas. Ils se rassemblent pour mettre en commun leurs aspirations et bâtir ce qu’on appellerait aujourd’hui un « projet ». Peu à peu, les neuf individus se fondent et acquièrent un statut de groupe. Ils se rassemblent physiquement dans un local commun situé au niveau des écuries du Temple de Salomon. Là, neuf années durant, ils confrontent la diversité de leurs expériences, de leurs savoirs, de leurs idées, jusqu’à faire apparaître la matière de ce qui deviendra la Règle unique sur laquelle va se fonder l’Ordre.

1128 : Activation

De ce moment, on peut penser que les choses à nouveau s’effritent, s’éparpillent. Les chevaliers se séparent : la plupart resteront à Jérusalem, d’autres reprendront la mer pour se rendre à Rome, puis à Troyes où doit se dérouler le prochain concile. En fait, une fois formulée la base de l’action, c’est-à-dire le contenu de la Règle, il s’agit de l’incorporer dans le sein de l’Eglise, de l’amener de plain pied dans la sphère agissante de ce monde du début du XIIème siècle. C’est au sein de ce corps à la fois politique et mystique que l’idée du Temple pourra poursuivre son chemin vers l’unité, et ceci, non plus à travers des personnalités, naturellement précaires et faillibles, mais à travers ce qui les rassemble : un Ordre.

Après 1128 : Etablissement

Les premiers Templiers, aussitôt confirmée la Règle, n’auront de cesse que de sillonner l’Europe pour recueillir, ici une adhésion, ici une donation, ici un appui. C’est par cette immersion dans l’ailleurs et le multiple qu’ils vont donner forme et consistance à l’Ordre naissant. Grâce l’activité de visiteurs comme Raymundus Bernardus, qui parcourut infatigablement le sud de la France et la péninsule ibérique pour faire la promotion du nouvel Ordre, les choses et les hommes se mettent en place : certains s’engagent dans l’Ordre, d’autres le soutiennent financièrement, d’autres encore lui octroient des terres ici ou là. La politique de l’Ordre naissant est simple : tout prendre, considérer chaque don comme une chance. L’Ordre recueille sans distinction les terres fertiles comme les marécages, les rentes les plus insignifiantes comme les donations substantielles. Quelques années plus tard, il se trouve à la tête d’un patrimoine hétéroclite qu’il faut trouver le moyen d’exploiter et de faire fructifier pour servir la cause d’Orient qui est sa raison d’être. Patiemment, sans brusquer qui ou quoi que ce soit, l’Ordre va modeler ses acquits. Dans toutes les régions, une politique d’échanges intelligemment menée permet de rassembler les terres autour de points centraux qui deviendront les commanderies. Ainsi s’est construit l’Ordre en Occident.

Au point de rencontre de la philosophie et de l’action : la mystique

Rassembler ce qui est épars, c’est recréer l’unité là où elle semble avoir disparu. Ce faisant, on s’aperçoit que l’unité est comme une vertu inhérente à la nature même des choses et des hommes. Qu’on lui procure les conditions propices, et elle refait surface. L’unité se reconstruit à partir du disparate. Elle ne se décrète pas ex nihilo. L’observation de la manière dont l’Ordre du Temple s’est créé offre un bel exemple de l’application dans la réalité d’une vérité philosophique, et c’est au point de rencontre de la philosophie et de l’action que naît la mystique. Plus que des moines, plus que des chevaliers, les chevaliers du Temple ont mis la philosophie en actes et conformé les actes avec la philosophie. Il y a dans une telle attitude le ferment d’une force extraordinaire dont les effets se feront sentir dans l’Ordre pendant près de deux siècles.

Le parcours même de l’Ordre est un parcours initiatique, progressif, toujours tendu vers un même but. L’initiable est celui qui sait attendre, et l’Ordre a fondé sa force sur l’attente et l’accueil. L’initié est celui qui prend à son compte ce qui lui a été transmis, l’expérimente et le transmet à son tour. L’Ordre a œuvré partout et dans tous les domaines avec le même esprit et son œuvre a laissé des traces profondes : remembrement des terres, gestion, comptabilité, techniques agricoles et artisanales… Il est difficile d’imaginer qu’un Ordre mû si puissamment par une vision mystique n’ait pas formé en son sein des hommes capables, non seulement de comprendre, mais de participer consciemment à l’œuvre collective. Il ne suffit pas de décréter le « Non nobis », il faut apprendre aux individus à le mettre en pratique. Qu’un tel apprentissage se fasse en trois étapes ou davantage, qu’il s’accompagne de tel rituel ou de tel autre, ce n’est pas le plus important. L’important, c’est qu’un tel apprentissage ait nécessairement existé. Et cela s’appelle l’initiation.