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Le Baphomet : un instrument au service de l’accusation

Les minutes du Procès contiennent plusieurs « témoignages » de Templiers concernant la mystérieuse idole qui entrera dans l’histoire sous le nom de Baphomet. A la Commanderie d’Auzon en Poitou, c’était un chat qui apparaissait pendant les travaux du chapitre et que les Frères adoraient. Mais la version la plus fréquente le présente comme une tête humaine.

Rares cependant furent les Templiers qui confessèrent de telles absurdités et il fallut sans doute un paroxysme de cruauté de la part des tortionnaires pour obtenir de pareils aveux. Un dignitaire de l’Ordre, Raoul de Gizy, précepteur de Lagny-le-Sec et de Sommereux, récepteur de Champagne, raconte une histoire à peu près semblable. Elle se passe à Paris, à la Maison Chêvetaine. Le chapitre général allait se terminer et les frères étaient tous à genoux. C’est alors qu’un frère servant, Hugues de Besançon, entra, portant comme une tête d’idole qu’il déposa sur une petite table, juste à côté de Gérard de Villars, qui présidait le chapitre. Fou de terreur, Raoul de Gizy se serait précipité hors de l’enceinte. Il ne pouvait de ce fait donner aucune indication sur l’objet en question sinon qu’il pensait personnellement que cette tête était maléfique. Pour le reste, il demeura muet, ne livra aucun nom. Il n’avait jamais rien demandé au sujet de cette terrifiante apparition et personne ne l’avait questionné sur son départ précipité. Les juges ne s’en tinrent pas là. Puisque le témoin avait commencé à parler, ils tireraient de lui le maximum. Raoul de Gizy avoua donc avoir assisté à la même scène l’année d’avant, tout en se déclarant incapable de dire qui présidait la réunion, qui y participait, qui avait apporté la tête. Il se souvenait seulement qu’elle n’avait été l’objet d’aucun acte de vénération. Quant à l’objet lui-même, on l’avait apporté dans un petit sac. Etait-il en bois, en métal ? S’agissait-il d’une tête de mort ? Etait-il de la taille d’une tête humaine ? Raoul de Gizy dit simplement qu’une telle chose ne l’avait pas marqué.

On l’aurait vue au cours d’un chapitre à la commanderie de La Rochelle. Un autre accusé l’aurait vue pendant sa propre réception au Temple de Paris. Elle était posée sur l’autel d’une petite chapelle, entre le tabernacle et l’armoire aux reliques. Chapeau, barbe blanche et longue, on aurait dit un vrai Templier. Il ne l’avait jamais revue depuis. Le soin des reliques était confié à l’administrateur général de l’Ordre nommé par Philippe le Bel, Guillaume Pidoye. Il fut naturellement sommé par les enquêteurs de leur montrer toutes les têtes de bois ou de métal qui se trouvaient à la Maison Chêvetaine. Il leur apporta une grande et belle tête de femme ornée d’or et d’argent. A l’intérieur se trouvait un crâne humain enveloppé dans un ligne de lin blanc recouvert d’un voile rouge. La taille de la tête correspondait à celle d’une jeune fille. On en déduisit tout naturellement qu’il s’agissait d’une des onze mille vierges. Bien que cette tête portât le numéro 58, Guillaume Pidoye assura qu’il n’y en avait pas d’autre. Pierre Maurin quant à lui déclara qu’il y avait effectivement, dans le trésor du Temple à Paris, une tête et que chacun devait y frotter sa cordelière. Pour lui, c’était la tête de Saint Pierre ou de Saint Blaise.

Pour accréditer la fable, il fallait trouver un moyen de la relier aux dirigeants de l’Ordre et, surtout, de frapper les esprits en lui donnant une origine orientale. Le Baphomet devenait ainsi le symbole de la perversité de l’Ordre qui, non seulement avait failli à sa mission, mais s’était laissé corrompre par l’Infidèle. Un Templier du diocèse de Clermont, Guillaume Avril, qui avait fait la Terre Sainte, nia avoir jamais vu d’idole, mais rapporta la rumeur de son existence à une légende qui avait cours outre-mer. On racontait en effet qu’autrefois, bien avant la Croisade, une tête émergeait de temps en temps sur la mer, à la hauteur d’un puissant remous appelé Sétalie. Dès que la tête apparaissait, les navires sombraient dans le gouffre. Pierre de Nobiliaco, un Templier du Limousin qui avait passé six ans outre-mer au service d’un Templier, Guillaume de Sauzet, avant d’entrer dans l’Ordre, nia lui aussi avoir jamais vu quelque idole que ce soit, mais il confirma les relations étroites, la « grande amitié », qui existaient, entre le Grand Maître du Temple, qui était alors Guillaume de Beaujeu et l’état-major de l’armée sarrasine. Pour lui, ces relations privilégiées étaient indispensables. Sans elles, l’Ordre n’aurait jamais pu se maintenir en Orient.

Ce fut une escalade. L’imagination ne connaissait plus de bornes. La torture sans doute non plus. Le précepteur du Temple de la Fouilhouze, au diocèse de Clermont, raconta une histoire digne des plus mauvais romans. La ville de Sidon, où il avait vécu lui-même cinq ans, avait été achetée par les Templiers. Un des notables de la cité, Julien, serait entré dans l’Ordre et se serait rétracté après, ayant perdu toute sa fortune. Le bruit courait qu’un de ses fils avait eu commerce avec une demoiselle, et qu’après sa mort, il l’avait fait exhumer pour se livrer sur elle à l’œuvre de chair. De là à dire que la tête incriminée était celle de la jeune fille… On tombe ici dans le sordide. Tous n’iront pas jusque là. Pierre de Bonne Fontaine, un autre clermontois, admit que les Templiers d’outre-mer devaient frotter leur cordelière à une tête, mais nia toute autre implication.

L’affaire avait été menée de longue main. Apostasie, hérésie, idolâtrie faisaient partie de l’arsenal des officiers de l’Inquisition. On avait pris soin d’inclure dans l’interrogatoire des Templiers la question de la tête et ceci dès le premier Procès, fin 1307. Raynier de Larchant dit l’avoir vue douze fois, toujours à l’occasion d’un chapitre, y compris à Paris. C’était une tête barbue qu’ils vénéraient et embrassaient en l’appelant « Mon Sauveur ». Il ignorait où elle se trouvait mais pensait qu’elle était à la garde du Grand Maître. Guillaume de Giaco, servant, responsable des écuries de la maison du Grand Maître, Jacques de Molay, déclara l’avoir vue deux années de suite, entre la Pentecôte et la Saint-Jean d’été, à Limassol en Chypre. Guillaume d’Herblay, l’aumônier du Roi, affirma sous serment qu’il l’avait vue lors de deux chapitres que présidait Hugues de Pairaud, le visiteur de France. Tous les frères devaient faire acte de vénération et lui-même l’avait fait, de bouche mais non de cœur. Elle était en bois recouvert d’or et d’argent et portait une barbe ou quelque chose d’approchant. Le trésorier du Temple, Jean de Tour, parla d’une tête de Christ peinte sur du bois qu’on offrait à la vénération des frères. Hugues de Pairaud lui-même alla jusqu’à déclarer l’avoir tenue en mains lors d’un chapitre à Montpellier. Elle avait quatre pieds, deux devant et deux derrière. Le fait fut confirmé par Raoul de Gizy, récepteur de Champagne qui donna même des détails sur la manière dont on la vénérait : face contre terre et tête nue, le capuce relevé. C’était une figure horrible, une sorte de démon, un « maufé » comme on dit. Il avait été tellement terrifié chaque fois qu’il l’avait à peine regardée. Tous ces hommes étaient des dignitaires de l’Ordre ou de leur entourage. Leur témoignage était d’autant plus précieux pour l’Inquisition. On n’ose imaginer les tourments qui leur furent infligés pour leur arracher semblables déclarations.

Liens

approche de Bernard Marillier
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approche de Marion Melville
http://www.templiers.net/symbolique/index.php?page=le-baphomet-marion-melville