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Vierge blanche, Vierge noire

Les deux couleurs du Baucéant

Les Vierges noires font partie de ces grands symboles de la mystique chrétienne car, au-delà des images pieuses, ils ont un sens pour celui qui sait regarder. Pour celui-là chaque détail à valeur d’indice, d’enseignement à explorer pour mieux appréhender les mystères de l’être et le sens de la quête. En quelque sorte, ces symboles sont des principes à l’œuvre dans l’alchimie que l’homme doit opérer pour se rapprocher de Dieu.

Vierge noire, Vierge blanche : deux faces majeures et complémentaires de Notre-Dame. La distinction entre ces deux aspects de Notre-Dame apparaît uniquement en Europe et très majoritairement en France. Chacun connaît, par exemple, les Vierges noires des églises d’Auvergne et celle de Czestochowa, en Pologne, auprès de laquelle le pape Jean-Paul II aimait à se recueillir.

Vierge noire, Vierge blanche : de l’une à l’autre

Mais qu’est-ce qu’une Vierge noire ? C’est une Vierge en bois sombre, représentée assise et tenant son enfant devant elle sur les genoux. Sa posture est très hiératique. Elle ne sourit pas. Elle est l’émanation de l’obscur, du silence du monde intérieur.

Une Vierge blanche est une Vierge debout, vivante dans son expression, dans son attitude et dans son regard. Elle porte l’enfant sur son bras. L’enfant la regarde, parfois il joue.

En fait, la grande distinction entre une Vierge noire et une Vierge blanche, en dehors de la teinte du bois, repose sur deux aspects : la direction du regard et la posture des personnages.

La Vierge noire et l’enfant regardent tous deux dans la même direction, face à eux. Ils ne se regardent pas. Ils sont immobiles, ils ne font rien.

La Vierge blanche et son enfant, en revanche, se regardent ou regardent autour d’eux. Ils sont tous les deux en mouvement.

Immobilité – mouvement, noir – blanc, monde intérieur – monde extérieur… Le principe de Notre-Dame qui s’exprime au travers des deux Vierges nous parle de la dualité, et par suite de la nécessité d’équilibrer les contraires. Il s’agit en effet d’équilibrer les forces sur cette terre sans cesse en ébullition, hantée par les dragons qui rôdent dans ses profondeurs.

La Vierge double, noire et blanche, joue dans le grand combat cosmique le rôle de Mithra et de l’archange St Michel, le rôle à la fois du gardien et de l’axe, de la balance et de l’épée.

N-D de Vassivière, Puy-de-Dôme

Vierge de la commanderie de Baudelu, Seine-et-Marne

Le combat pour l’équilibre

De Mithra, la Vierge blanche de l’Apocalypse a la chevelure ondulée, le flou des vêtements légers qui épousent le corps, et ce nimbe étoilé, signe de la chevalerie spirituelle sous l’angle féminin, la lumière dans la nuit. Et le serpent enroule ses spires autour du globe où ses pieds reposent, comme il s’enroulait autour de la pierre d’où naissait le Soleil Invaincu, comme il déroulait ses anneaux sous le corps couché du taureau. Mithra, premier de l’angélologie de l’Iran ancien, père de nos mystiques, adolescent aux boucles claires, au corps souple et puissant, qui tient sous son fragile joug le taureau couché sous lui qu’il pique de la pointe de son poignard, prêt à l’enfoncer sans jamais le faire, attentif au soleil, à la lumière qui vient d’en haut et d’où il tire sa vigueur et sa capacité de discrimination.

Saint Michel, archange de la face, dernier rempart de Dieu, gardien de la Cité céleste, adolescent fragile et pourtant si puissant puisqu’il arrive à triompher du dragon sans lui donner la mort. Car ce dragon, il ne le tue pas, mais il le tient en respect, ne le perdant jamais du regard, n’ignorant jamais sa présence, vivant à ses côtés dans une attention de chaque instant. Saint Michel, comme la Vierge blanche, est celui qui se bat contre le dragon à sept têtes de l’Apocalypse, la bête « qui se tient devant la femme prête à enfanter pour, quand elle aura enfanté, dévorer son enfant ». Saint Michel est celui qui défendra l’enfant pour peu que Dieu l’ordonne, cet enfant que les Vierges noires tiennent au bout de leurs bras, au bout de leurs genoux, comme s’il était prêt à prendre son envol. Ces Vierges noires, qui font l’offrande de ce qu’elles ont de plus cher, grâce à la force de l’amour qui sait que, quoi qu’il arrive, cela est juste et que Dieu veille.

Qui sont ces dragons prêts à dévorer l’enfant sinon l’expression de nos doutes, de nos craintes, de nos vouloirs et de tous ces pièges d’orgueil qui nous obligent à nous transformer, à nous élever pour nous délivrer d’eux ? Nos dragons sont partie intégrante de nous-mêmes, une partie utile car ils nous mettent en marche, ils nous propulsent dans nos déserts intérieurs, dans les zones les plus obscures de nous-mêmes où, à chaque pas, nous courons le risque de tomber.

Saint Michel, comme Mithra, est celui dont la victoire n’implique aucun triomphe ni aucun anéantissement, aucune fin. Sa victoire, c’est de mettre de la lumière là où il y a trop de ténèbres et des ténèbres là où il y a trop de lumière. C’est une victoire cristalline, décisive et fragile à la fois, une victoire de « petit pauvre » : « là où sont les ténèbres, que je mette la lumière ; la où est la tristesse, que je mette la joie. »

Quête de l’Axe

Où se situer pour garder l’équilibre dans le perpétuel mouvement sinon dans le centre de nous-mêmes ? « Les rayons de la roue sont nombreux, disait Lao-Tseu, mais c’est le vide qu’il y a au milieu qui fait avancer la charrette. » Les Vierges noires sont assises, silencieuses, immobiles, droites comme le fléau idéal de cette balance qui oscille sans cesse au bras de l’archange. Vierges noires comme des axes au cœur de nos consciences, et dont la rectitude trace cette impalpable ligne entre les deux couleurs du Baucéant.

La Vierge Noire invite celui qui se tait devant elle à passer le seuil qui mène au centre, à se dépouiller pour atteindre le mystère. Comment ? En rendant Dieu fécond en soi, tout comme la Vierge a rendu Dieu fécond en lui donnant un enfant. L’âme ainsi peut devenir le creuset où s’accomplissent les retrouvailles intimes de Dieu avec Dieu.

Seul le souvenir de cet enfant, semence divine, trace lumineuse à l’intérieur de nous, peut nous aider à traverser le miroir des apparences et à former silencieusement cette coupe d’émeraude apte à recevoir la Grâce. C’est ainsi qu’a lieu la naissance, à chaque instant renouvelée, c’est ainsi que l’âme entre dans la plénitude du centre.

Souvent, le geste nous paraît impossible, inaccessible, enfermés que nous sommes dans nos peines, nos orgueils ou, simplement, tellement pleins de nous-mêmes qu’il n’y a plus de place pour l’enfant-Dieu. Nous errons dans l’obscurité, nous nous sentons abandonnés par le père, desséchés, repoussés aux confins de nous-mêmes, si loin que nous ne trouvons plus les mots de la prière. Mais c’est là aussi le rôle de la Vierge, blanche ou noire, d’intercéder auprès de Dieu pour soulager, pour que chacun puisse porter sa part d’humanité.

Baucéant

C’est le rôle du chevalier, son devoir, que d’écouter, d’accompagner ceux qui sont en difficulté et de pardonner à ceux qui nous ont blessés ou, chose souvent plus difficile encore, de nous pardonner à nous-mêmes nos propres manquements. La Vierge, qu’elle soit noire ou blanche, nous enseigne toutes les vertus de la Mère : la fermeté dans la bienveillance, la tendresse, l’hospitalité. François d’Assise, dans sa volonté d’absolu, ira jusqu’à demander aux abbés de son Ordre d’être les mères attentives des frères qui les entourent et il leur parlera souvent de la maternité de Jésus.

Pour garder un pied sur le dragon, un genou sur le taureau, pour établir cet équilibre entre la lumière et les ténèbres, le chevalier du Temple a reçu à son entrée dans l’Ordre un outil simple, efficace et redoutable : une Règle, un code moral et spirituel, fléau idéal dans l’oscillation perpétuelle de l’existence humaine, axe invisible, puissant comme un rempart, qui le rappelle à cette ligne impalpable entre les deux couleurs du Baucéant.

Le Chevalier du Temple était aussi un moine, et chaque jour et chaque jour, il remâchait, au rythme des offices ou à force de Pater quand il fallait œuvrer dehors, la parole de Dieu, sous le regard de la lumière et du silence : de l’archange, de Mithra, de la Vierge noire et blanche. C’est alors seulement, aujourd’hui comme hier, qu’on peut se remettre au labeur, qu’on se gagne le droit, au cœur de la bataille, de « poindre » le Baucéant.