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Retour de croisade de Richard Cœur de Lion

selon la chronique d'Ernoul

Chronique d'Ernoul

La Chronique d’Ernoul a été composée au début du 13ème s. L’auteur se présente comme un seigneur d’Orient, c’est-à-dire un chevalier franc vivant dans les Etats Latins. Il est donc un témoin de première main d’événements contemporains. En cela réside l’intérêt de cette chronique qui nous fait parcourir 130 années de l’histoire des croisades.

Après la chute d'Acre qui marque la fin de la troisième croisade, Richard, qui se sait détesté par un certain nombre de Croisés, décide de rentrer précipitamment en Angleterre. Il fait appel pour cela aux Templiers. Nous sommes le 9 octobre 1192.

La traduction a été effectuée par templum-aeternum.net.

Richard Cœur de Lion

Le Retour du roi Richard

Philippe Auguste et Richard font ensemble vœu de croisade

Quand on eut fait la trêve avec les Sarrasins, Richard fit appareiller ses navires et ses galées qu’il avait fait charger de nourriture et de gens. Il y fit entrer sa femme et sa sœur, la femme de l’empereur de Chypre qui était mort en prison, sa fille, ses chevaliers et ses sergents. Il vint ensuite trouver le Maître du Temple et lui dit : « Sire, je sais bien que je ne suis pas aimé de tout le monde, et j’ai bien conscience que, si je passe la mer et qu’on me reconnaisse, je n’y arriverai pas mais serai tué ou pris. Je vous prie donc, par Dieu, de me donner de vos frères chevaliers et de vos frères sergents pour venir avec moi sur une galée, et, quand nous serons arrivés, ils me conduiront déguisé en templier jusques en mon pays. » Le Maître dit qu’il le ferait volontiers. Il fit donc préparer chevaliers et sergents à la hâte et les fit monter dans une galée.

Combat de Richard et de Saladin

Le roi prit congé du comte Henri et des Templiers ainsi qu’à tous ceux qui restaient à terre et il monta dans une nef. Et quand vint l’heure de vêpres, il passa dans la galée où se trouvaient les Templiers. Il prit congé de sa femme et de sa maisnie, puis chacun partit de son côté. Mais il eut beau faire vite, le roi d’Angleterre fut néanmoins aperçu. Il y en eut un qui était missionné pour monter dans la galée avec lui et le faire prendre. Il alla avec lui jusqu’à ce qu’il fût arrivé, et même au-delà. Ils arrivèrent près d’Aquilée. Aquilée est située aux marches d’Allemagne, juste après la mer de Grèce.

Le retour de Richard Cœur de Lion par Alphonse de Neuville

Quand les Templiers et le roi d’Angleterre furent arrivés, ils se procurèrent des montures en suffisance et chevauchèrent à travers l’Allemagne. Et celui qui était monté dans la galée pour le faire prendre était toujours avec eux. Il les accompagnait encore lorsqu’ils se firent héberger dans un château du duc d’Autriche [1], en Allemagne. Il se trouvait que le duc d’Autriche était alors en son château. Quand celui qui se cachait du roi pour le faire prendre sut que le duc était en son château, il alla le trouver et lui dit : « Sire, pas d’erreur : le roi d’Angleterre est hébergé en cette ville. Gardez qu’il ne vous échappe ! » Le duc fut très heureux des nouvelles qu’il lui apportait, car on disait qu’il avait fait grande vilenie à l’armée devant Acre. Il commanda alors qu’on fît fermer les portes du château. Il s’arma et fit armer ses gens, puis il se rendit en l’hôtel où ils étaient logés. Il emmenait avec lui celui qui lui avait apporté la nouvelle afin qu’il lui montre le roi.

On fit savoir au roi d’Angleterre qu’on venait céans pour le prendre. Le roi fut surpris et ne savait que faire. Il prit une mauvaise cotte, se la jeta sur le dos pour qu’on ne le reconnaisse pas, pénétra dans la cuisine et s’assit pour tourner les chapons sur le feu. Je ne donne pas cela pour vérité ; c’est seulement ce qu’on raconte.

Les gens du duc d’Autriche pénétrèrent dans la maison. Ils le cherchèrent partout mais ne trouvèrent que les gens du Temple et ceux qui s’occupaient de la nourriture dans la cuisine. Celui qui avait trahi le roi d’Angleterre entra dans la cuisine et le vit tournant les chapons (à ce qu’on dit). Il s’approcha de lui et lui dit : « Maître, levez-vous ! Vous avez fait cela trop longtemps. » Puis il s’adressa aux chevaliers du duc : « Seigneurs, le voici, emparez-vous de lui. » Ils se saisirent de lui, l’emmenèrent et le mirent en prison [2]. Il y fut longtemps, jusqu’à ce qu’on eût payé la rançon

Je vais vous dire à présent ce que fit le roi de France. Quand il eut entendu dire que le roi d’Angleterre avait passé la mer et qu’il était retenu en Allemagne, il en fut content à cause de la honte que le roi avait faite à sa sœur en épousant une autre femme alors qu’il lui avait promis le mariage à son retour. Il convoqua son ost et entra en sa terre. Il prit Gisors et d’autres châteaux ; il brûla une partie de ses terres, s’empara du comte de Leicester qui était le gardien de sa terre de Normandie et conserva la terre.

En ce temps où le roi d’Angleterre était prisonnier en Allemagne, Henri [3] le fils de Frédéric, était l’empereur, car Frédéric l’avait laissé en Allemagne pour qu’il soit le gardien de sa terre. Quand le roi d’Angleterre eut passé longtemps en prison, il pria l’empereur , pour Dieu, de lui fixer une rançon. Il lui donnerait tout ce qu’il demanderait. Il souffrait davantage du fait que le roi de France lui brûle ses terres que d’être en prison. L’empereur demande au duc d’Autriche de fixer la rançon du roi. On dit aussi qu’ils le soumirent à rançon à la demande du roi de France. Le montant de la rançon était élevé, dit-on : « 140.000 marcs. » L’empereur en eut la plus grande partie et le duc d’Autriche le reste. Le roi de France en eut aussi sa part pour avoir laissé le convoi traverser ses terres. Le roi d’Angleterre jura sur les Saints de s’acquitter de la rançon et fournit de bons otages. Quand il fut hors de prison [4], l’empereur le fit conduire à travers le royaume, l’amena jusqu’à la mer. Et il partit pour l’Angleterre.

Quand il fut en sa terre, il se procura au plus vite sa rançon, l’envoya à l’empereur, acquitta son serment et délivra les otages. Quand le roi d’Angleterre eut payé sa rançon, il passa la mer et alla en Normandie. Il avait levé son ost pour aller contre le roi de France afin de recouvrer son domaine. C’est alors que commença la guerre du roi d’Angleterre et du roi de France, mais je vous en dirai davantage une autre fois.

[1] Il s’agit du duc Léopold de Babenberg.

[2] Le roi Richard fut détenu à Dürnstein.

[3] Il s’agit d’Henri VI.

[4] Richard fut libéré en février 1194.

bibliographie

Chronique d'Ernoul et de Bernard le Trésorier : publiée pour la première fois d'après les manuscrits de Bruxelles, de Paris et de Berne, avec un Essai de classification des continuateurs de Guillaume de Tyr, pour la Société de l'histoire de France, par M. L. de Mas Latrie, Paris, 1871 (en ligne).

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29427p/f1.image

Catherine Croizy-Naquet : Y a-t-il une représentation de l’Orient dans la Chronique d’Ermoul et de Bernard le Trésorier ? Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, août 2001 (en ligne).

http://crm.revues.org/index412.html#ftn1

liens

l’excellent site de Marc Carrier dédié aux croisades :
http://pages.usherbrooke.ca/croisades/croisades.htm